Il faut intégrer la question des aidants aux engagements RSE des entreprises

Depuis longtemps, l’OCIRP met en lumière la question des aidants salariés. Dans l’ouvrage « Dessine-moi un aidant », publié début septembre 2023 en collaboration avec Vovoxx Media, l’OCIRP propose de nombreuses réflexions sur le sujet, en donnant la parole à de nombreux acteurs.

De plus en plus de personnes se voient dans l’obligation d’accompagner un proche en perte d’autonomie, lié à l’âge, à une situation de handicap ou à une maladie chronique. Aujourd’hui, ils seraient 11 millions d’aidants en France, parmi lesquels 57 % sont salariés.

Et, alors que nous faisons face au vieillissement de la population, en 2030, ce sont un salarié sur 4 qui se retrouveront face à cette situation d’aidance.

Avec 10,5 heures en moyenne de charge hebdomadaire, ces salariés proches aidants subissent un quotidien qui ne laisse pas de place au repos. « Très souvent, on considère que les aidants ont deux contrats de travail dans la journée : leur contrat dans l’entreprise et l’autre qui est le contrat d’aidant, au service d’une personne aidée », déplore Thierry Grégoire, Président des saisonniers de l’UMIH (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie). Deux emplois à temps plein qui peuvent nuire à la santé de l’aidant. En effet, comme le précise Anne-Michèle Chartier, déléguée nationale à la santé au travail CFE CGC et médecin du travail, « les aidants doivent faire face à plusieurs types de risque : le risque de fatigue, le risque émotionnel et l’épuisement cognitif ».

Selon Laurence Breton-Kueny, Directrice des ressources humaines de l’AFNOR, ces aidants salariés « doivent faire attention à leurs propres limites », car aujourd’hui ils sont 58 % à se dire en difficulté physique et/ou morale. Des situations face auxquelles ces personnes sont, souvent, seules, et qui peuvent entraîner de multiples conséquences sur leur vie personnelle et professionnelle.

L’aidance, un sujet encore tabou

Il devient alors indispensable que des mesures soient prises par les entreprises pour les accompagner au mieux. Mais pour cela, « Il faut que le salarié ait le sentiment qu’il puisse s’exprimer librement sur son rôle d’aidant envers son ou ses managers pour bénéficier des mesures qui sont légalement mises en place », explique Pascale Coton, vice-présidente confédérale CFTC, vice-présidente du CESE.

Une situation qui n’est pas rendue facile puisqu’il « existe une sorte d’omerta sur le sujet « santé » en France », selon Dominique du Paty, vice-présidente en charge de l’inclusion à la confédération des petites et moyennes entreprises. Il faut alors que les entreprises permettent à leurs collaborateurs aidants de se faire connaître sans inquiétude, car actuellement ils ne sont qu’un tiers à le faire.  « Il faut déstigmatiser la question des aidants en entreprise et la normaliser afin que chacun la comprenne et l’accepte », déclare Emilie Weight, Responsable RSE de Merck. Un avis partagé par Pascal Andrieux, Directeur des engagements sociaux, sociétaux de Malakoff Humanis, Directeur général de la Fondation MH Handicap et Directeur de la Mutuelle Allasso, qui affirme que « c’est donc bien vers la généralisation de cette culture bienveillante dans l’entreprise que nous devons tendre ». 

Il faut « un investissement à la fois financier et humain »

Pourtant, si la situation d’urgence paraît évidente, elle reste très oubliée des discours politiques. « Globalement, il vaudrait mieux avoir 11 millions de personnes en capacité de s’occuper de leurs parents plutôt que de multiplier le nombre d’EHPAD dans lesquels les personnes sont insuffisamment bien prises en charge. […] Le discours politique est orienté sur le sujet de la dépendance et peu sur celui des aidants. L’inverse serait préférable. Il est nécessaire de donner plus de moyens aux aidants. » explique Philippe Barret, Directeur général d’Apicil.

Pour ce faire, « il faut avant tout que la philosophie de notre système de protection sociale évolue » d’après Marie-Laure Dreyfuss, Déléguée générale du CTIP. Mais il est également nécessaire « d’obtenir un investissement massif et solidaire à la fois financier et humain, ce qui signifie de pouvoir arriver à mettre en place des personnes référentes auxquelles on puisse spontanément aller confier ses difficultés », ajoute Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT.

Toutefois, de nombreuses institutions de prévoyance « ont su être réactives et accompagnent déjà les entreprises et leurs salariés sur ce sujet dans la sensibilisation et l’accompagnement des salariés aidants », en proposant des mesures innovantes et adaptées, témoigne Agnès Hautin, U2P, Présidente de la CAPSSA. Néanmoins, pour François-Xavier Albouy, économiste, directeur de recherche, chaire TDTE,  « la difficulté vient des entreprises qui sont encore réticentes à voir leurs charges augmenter dans le cadre de solutions assurantielles. Or, nous sommes dans une urgence absolue et nous devons travailler sur des moyens de financement. Je pense qu’il faut soulager les budgets des familles, peut-être en recourant à des mécanismes de crédits d’impôts ou de demi-part supplémentaire pour les ménages qui sont confrontés à cette situation d’aidants ». 

En effet, près d’1/3 des aidants salariés se sentent désemparés face à leur situation, parmi lesquels beaucoup ressentent un faible soutien de l’entreprise.

« Un salarié en confiance est un salarié performant »

Le 19 juillet 2023, a été mis en place une loi pour renforcer la protection des parents aidants, d’un enfant malade ou gravement handicapé, et salariés. L’une des principales mesures concerne le télétravail et empêche désormais son refus par un employeur ; ce qui était déjà le cas pour les proches aidants d’une personne âgée. « Je pense que le télétravail est vraiment formidable. Cela permet de concilier travail et vie de famille. Le matin, on se lève, on fait tourner la machine à laver, on prépare un déjeuner et puis on se glisse derrière l’ordinateur et tout ça se fait tranquillement. À l’heure du déjeuner, tout est prêt : on mange, on étend son linge. Si on a un parent à la maison, un mari qui, par exemple, requiert des soins, on peut tout faire en même temps, jeter un coup d’œil pour s’assurer qu’il va bien, qu’il mange correctement… » se ravie Claudie Kulak, Fondatrice de la compagnie des aidants et conseillère CESE.

« On remarque aussi que de plus en plus d’entreprises ont mis en place des mesures en complément du cadre légal existant, comme les dons de RTT, les chèques CESU, une assistante sociale mise à disposition en entreprise, un psychologue […]. De plus, aujourd’hui, la plupart des groupes de protection sociale appliquent une politique en faveur des aidants. » ajoute Camille de Valroger Germon, Assistance sociale, la Compagnie des aidants.

Si ces mesures doivent être saluées, pour les experts de l’ouvrage « Dessine-moi un aidant », cela n’est pas suffisant et de nombreux engagements doivent encore être pris. Ainsi, pour le Directeur d’handicap.fr, Gilles Barbier, « il y a toutes les mesures sur la reconnaissance du statut d’aidants salariés ainsi que les aménagements comme compenser la perte de salaire, développer de véritables solutions de répit face à la charge mentale et de prise en compte dans la carrière de la situation d’aidant pour que cela ne soit pas un frein. En résumé, tout l’enjeu de la « salariance ». Un salarié en confiance est un salarié performant. »

Quant à Lydie Recorbet, chargée de mission RH et RSE, ORSE, elle déclare que « la mesure prioritaire serait la communication et l’information ». 

« Le « S » de RSE est trop souvent le grand oublié »

De plus, parmi les solutions proposées, nombreux sont ceux à penser qu’il faut réellement intégrer la question des aidants aux engagements RSE des entreprises. « Il est grand temps de libérer la parole sur le sujet au sein des entreprises […] et d’inscrire ces enjeux dans leur politique RSE, ainsi que le prône FranceStratégie », rappelle Laurent des Brest, Président de CFDP. Pour Annie de Vivie, fondatrice d’Âge Village, « les entrepreneurs, les dirigeants, à mon avis, doivent intégrer cette réalité au même titre que le développement durable en pensant à ce qui peut être mis en œuvre pour que l’entreprise fonctionne ».

Un constat rejoint par Catherine de Bruyne, Directrice de la négociation collective de la protection sociale, GNI- HCR, qui ajoute que « l’axe principal utilisé par les entreprises les plus avancées sur les questions environnementales se concentre sur l’égalité hommes/ femmes, puis ensuite sur la diversité. L’aidance n’est pas le sujet immédiat. » Pourtant, selon Éric Gaudron, secrétaire confédéral secteur protection sociale collective, force ouvrière « l’aidance a toute sa place parmi les questions sociétales. », malgré le fait que « le « S » de RSE [soit] encore trop souvent le grand oublié… »

Et pour, Jean-Manuel Kupiec, Conseiller du Directeur général de l’OCIRP, « c’est un sujet à long terme, or notre société n’est pas prête à affronter le vieillissement, à la regarder en face : il y a un déni, c’est pourquoi il faut traiter ce sujet comme un problème sociétal ». 

« Soutenir les aidants est un fabuleux vecteur d’engagement »

Malgré tout, de nombreux acteurs du secteur se sont engagés dans cette voie, soutenant les aidants, car cela est « un fabuleux vecteur d’engagement », selon Émilie Weight.

Parmi eux, il y a des centres de ressources qui ont été mis en place par La Compagnie des Aidants ou le collectif Je T’Aide, et qui sont « indispensables », rappelait Nicolas Menet, Directeur de Silver Valley, dans un entretien réalisé en avril 2022, insistant sur le fait que « la génération d’aidants actuelle constitue un véritable pilier de la société ».

Le Groupe Klesia a également fait de l’aide aux aidants une priorité. « Pour le compte de la communauté Agirc-Arrco, le Groupe a porté une démarche de co-construction avec les bénéficiaires (aidants, aidés) et les professionnels du secteur (associations, entreprises, collectivités…) qui a notamment abouti en 2019 à une solution digitale d’informations et de ressources géolocalisées « Ma Boussole Aidants ». Un autre projet a été conduit en parallèle pour co-construire avec Handéo le label valorisant les entreprises qui accompagnent leurs salariés aidants, puis le Kit Aides (https://kitaide.klesia.fr/) pour aider les RH à communiquer dans leur entreprise sur le sujet grâce à un site dédié et une approche ciblée par profil (RH, salarié aidant, manager) et des contenus concrets pour agir », détaille Frédéric Bernard, Directeur Action Sociale, Directeur délégué MCDEF Livre III, KLESIA.

Ces initiatives sont d’une importance considérable pour permettre aux aidants d’être enfin reconnus et accompagnés à la hauteur de leur engagement. Pour cela, il faut continuer à « développer l’assistance aux projets de vie : soutenir les aidants dans l’expression de leur demande et dans la définition d’un projet qui prend en compte l’environnement dans lequel ils vivent et travaillent » , d’après Jacques Daniel, Président de Trisomie 21 Nouvelle-Aquitaine, Président du collectif français d’appui à la demande (CFAD).

En conclusion, « le soutien que notre société apporte aux aidants concerne tous les citoyens, toutes les familles, toutes les entreprises », déclare Marie-Anne Montchamp, Directrice générale de l’OCIRP.

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