Ukraine : les entreprises françaises assurées ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février et ses conséquences économiques ont mis à mal de nombreuses entreprises françaises ayant des intérêts dans l’un ou l’autre pays, que ce soit via des exportations ou une implantation directe. Les diverses restrictions commerciales, la mise à l’écart des banques russes du système SWIFT ainsi que les ripostes russes ont mis Risk Managers et cellules de crise sur le pont.

Cette situation de conflit militaire et politique particulièrement mouvante pose la question de la couverture assurantielle des entreprises impliquées à divers niveaux dans ces territoires. Si de façon générale les grands groupes ont souscrit en amont aux garanties nécessaires, le danger concerne surtout les PME.

En amont, l’enjeu de la conformité

Première préoccupation des entreprises, s’assurer de la conformité de leurs activités par rapport aux sanctions : cette notion de compliance constitue d’ailleurs un principe permanent, visant à certifier que l’entreprise, ses dirigeants et ses employés respectent les normes légales mais aussi des principes liés à l’éthique des affaires et la déontologie. En conséquence, l’ensemble des clients, fournisseurs, partenaires commerciaux sont passés au crible afin d’écarter ceux avec lesquels il n’est plus possible de travailler, cela pouvant être pour des raisons légales ou pratiques (entreprise russe blacklistée, compte bancaire sous sanction), mais aussi pour des raisons éthiques, avec les répercussions éventuelles que pourraient avoir auprès de l’opinion publique occidentale une décision de poursuivre une activité économique en Russie…

Cette tâche est généralement confiée à un cabinet d’experts du fait de sa complexité. Si ce travail peut permettre de réduire les risques à venir, il ne résout pas pour autant le problème en cas de préjudice avéré : c’est là que la question de l’assurabilité des risques entre en jeu.

Assurance-crédit à l’export : de vives inquiétudes

Suite au déclenchement de la guerre, l’assurance-crédit à l’export a rapidement suscité des préoccupations, celle-ci étant censée couvrir le risque d’insolvabilité des partenaires commerciaux. Ainsi comme le rapportait le 11 mars l’hebdomadaire éco-industriel L’Usine Nouvelle, un certain nombre d’assureurs-crédits, à l’image d’Euler Hermes, ont d’ores et déjà décidé de ne plus accorder de nouvelles garanties sur les marchés russe et ukrainien.

Cependant la question se pose surtout pour les contrats déjà souscrits, d’autant plus que depuis le 12 mars sept banques russes ont été déconnectées du système SWIFT, alimentant le risque d’impayés. Concrètement, vue la situation actuelle, une entreprise française exportatrice en Russie ou en Ukraine peut-elle être indemnisée en cas de défaut de paiement d’un client ? D’après François Delteil, courtier spécialiste de l’assurance-crédit chez AU Group interrogé par L’Usine Nouvelle, « cela est bel et bien possible… à condition que l’entreprise soit couverte sur le risque politique. » Or, « la plupart des entreprises qui exportent en direct vers ces zones le sont », rassure-t-il.

Le problème est que si les grands groupes sont en effet couverts contre ce type d’aléa, la question reste plus sensible pour les nombreuses PME qui exportent également dans cette zone. Par ailleurs, même les entreprises assurées ont une autre épée de Damoclès : habituellement ces contrats comportent une clause d’exclusion en cas de guerre entre deux pays membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, notamment parce que les 5 membres permanents sont tous dotés de l’arme atomique. Pour le moment, les seuls pays belligérants officiels étant la Russie et l’Ukraine, cette clause d’exclusion n’est pas applicable… Mais nul ne sait pour combien de temps.

La question se pose aussi pour les transactions déjà engagées par le passé, avant le déclenchement de la guerre, conclues avec des sociétés russes aujourd’hui sanctionnées : « les assureurs crédit ne répondent pas de manière ferme. En cas de sinistre, ils examinent chaque demande d’indemnisation au cas par cas et analysent les aspects contractuels, ainsi que le type de sanction et sa répercussion sur leurs obligations », explique Gilles Maman, courtier chez Marsh France.

La couverture des actifs des entreprises en Russie et en Ukraine

Si bien des entreprises se contentaient uniquement de commercer avec la Russie ou l’Ukraine, d’autres s’y sont nettement plus investies, possédant là-bas des actifs, usines, machines, bureaux, à l’arrêt ou non… Tous ces actifs font face aujourd’hui à une menace de nationalisation en Russie, et de destruction en Ukraine. Le président russe lui-même s’est déclaré favorable le 10 mars « à la nomination d’administrateurs externes à la tête des entreprises étrangères, pour les transférer à ceux qui veulent les faire fonctionner. »

La question de l’assurabilité de ces situations se pose donc également. Or « pour ce type de sinistres, les polices de dommages aux biens n’ont pas vocation à s’appliquer. En revanche, des polices dédiées aux risques et aux violences politiques sont nécessaires », explique cette fois Michel Josset, Président de la Commission Dommages aux Biens de l’Association pour le Management des Risques et des Assurances de l’Entreprise (AMRAE) et responsable des assurances chez Faurecia.

On en revient donc à la dichotomie entre les grands groupes qui ont généralement eu les moyens de prendre leurs précautions, et les PME pour lesquelles rien n’est moins sûr. « Beaucoup de grands groupes ont pris cette précaution en Russie et en Ukraine», confirme François Delteil.

Ainsi ces sujets devraient principalement donner des sueurs froides aux petites entreprises, aux niveaux de couverture d’assurance très variables. Or les PME et les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) représentent aujourd’hui « 75% des emplois en France et 300% de la création nette d’emploi, » comme l’indiquait Fanny Letier, cofondatrice du fonds d’investissement GENEO, aux dernières Rencontres de l’AMRAE sur le Risk Management : ainsi en cas de lourdes atteintes à leurs activités, c’est le niveau général de l’emploi en France qui s’en ressentirait fortement.

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