Les conseillers doivent s’intéresser aux entreprises innovantes, à la vraie vie

Thibault PREBAY, Directeur – Gestion Obligataire à La Financière Arbevel explique à l’Assurance en Mouvement sa vision des forces déflationnistes et inflationnistes qui s’affrontent. La question de la dette des états n’a pas lieu d’être, car elles n’ont pas vocation à être remboursées. Quant aux marchés actions, il estime que la finance durable est un phénomène irréversible.
Comment expliquer la situation actuelle au regard de l’inflation ?

Elle correspond à un affrontement entre des facteurs historiquement déflationnistes, qui perdurent, et des facteurs historiquement inflationnistes qui sont en train de se retourner. Le premier vecteur déflationniste a toujours été la natalité et non le vieillissement de la population. Exemple : toute baisse de la natalité en Chine va provoquer une réaction des marchés entrainant à la baisse les actions orientées sur la consommation. La consommation et donc l’inflation sont principalement liées à la taille des générations. La baisse de la natalité un peu partout dans le monde est peu évoquée mais elle reste pourtant un facteur de désinflation massif. Le retour de l’inflation dans ce contexte à long terme est peu probable. Le second vecteur déflationniste est, bien sûr, l’évolution technologique qui induit des gains de productivité. Exemple : un abonnement à une chaine internet est bien moins cher que l’achat de DVD. Cette baisse des prix est partie pour durer.
Face à ces facteurs déflationnistes de long terme, arrivent des facteurs inflationnistes avec tout d’abord la Chine qui jusque-là exportait de la déflation dans la mesure où les coûts de production y sont faibles.  A présent la devise Chinoise est orientée à la hausse et le gouvernement chinois veut se concentrer sur son marché intérieur. Par ailleurs, beaucoup de pays, avec la crise sanitaire ont décidé de rapatrier un peu de production à l’intérieur de leurs frontières, non pas en relocalisant, mais plutôt en créant de nouvelles facilités de productions locales. Ce point n’est pas à négliger. Le second vecteur inflationniste important, même s’il est difficile à quantifier, est lié à la volonté de dé-paupérisation de la population. Nous avons eu un cycle de 30 ans de baisses d’impôts pour les plus aisés et en même temps de baisse des aides pour les plus pauvres. Cette inversion est visible aux États-Unis et en Europe de manière globale, un peu moins en France pour le moment, avec des salaires minimums qui augmentent un peu partout sur la demande des gouvernements. Cela peut aussi prendre la forme d’annulation de prêts étudiants. Les plans de relance sont pour le moment centrés sur les personnes les moins fortunées qui consomment beaucoup au détriment des populations qui épargnent. Ce rééquilibrage peut, structurellement, être une force assez inflationniste.
La résultante de ces deux forces qui s’affrontent fera, à mon avis, que les facteurs inflationnistes seront d’une importance limitée par rapport aux facteurs déflationnistes. L’inflation grimpera un peu mais je n’anticipe pas de dérapage à long terme.

Les dettes explosent en montant. Comment les rembourser ?

Les banques centrales ont en effet injecté des liquidités dans l’économie en rachetant des dettes publiques qu’elles font rouler et qui ne seront jamais remboursées, avec des coupons qui sont rendus aux États, ce qui, de facto, annule une partie de la dette. Ce qui s’est passé correspond à une dévaluation de l’ensemble des monnaies des pays en même temps. Cela s’est traduit par une hausse de l’or, du Bitcoin ou du Yuan, ce dernier ayant été moins confronté que les autres devises à une politique monétaire expansive de rachat de dettes. Les dévaluations concomitantes des monnaies freinent les dérives inflationnistes et vont régler la situation de la dette publique.
Quant au débat sur le remboursement des dettes ou non, il n’a à mon sens, guère d’intérêt. La réalité ressemblera à ce que nous avons connu pour les pays en voie de développement ou plus près de nous à la Grèce, c’est-à-dire que nous allons, dans le temps, rallonger la dette et baisser les taux d’intérêts, avant de l’annuler parce qu’elle ne rapporte plus rien.
Aujourd’hui, nous avons une dette détenue par la Banque centrale européenne qui verse les coupons. Dans le temps, cette dette qui ne rapportera plus rien, sera annulée. Mais on ne peut pas le faire tout de suite pour des raisons politiques, afin d’éviter une sorte de tension et de défiance dans la monnaie qui n’aurait aucun intérêt. Mieux vaut attendre.
Ceux qui penchent pour le remboursement, savent que la Banque centrale fait rouler la dette. A toutes les époques, la dette se rembourse avec la dette. Ce qui compte est que le niveau de l’activité progresse pour que le montant de la dette soit raisonnable. Si les dettes des États ne sont pas amortissables, c’est bien parce qu’elles n’ont pas vocation à être remboursées.

Comment peut-on expliquer les bonnes performances des marchés actions dans ce contexte de crise ?

Les observateurs ont tendance à oublier que les marchés actions ne sont pas des marchés de chiffre d’affaires et par conséquent ne sont pas corrélés aux PIB, mais des marchés de marges. Or, aujourd’hui, les sociétés ont de belles marges, particulièrement celles qui pèsent lourd en Bourse. Exemple : le PIB chinois n’a fait que progresser ces dernières années mais ses marchés d’actions ont stagné. Dire que la baisse du PIB est mauvaise pour les Bourses est faux. 2018 a connu une très forte hausse du PIB et a été une mauvaise année boursière. De 2012 et 2016, nous avons connu d’excellentes années boursières alors que la croissance était nulle. Donc la connexion ressentie entre le PIB et la performance boursière n’a pas de sens. De plus, il faut souligner que nous avons des indices dont la composition a beaucoup changé en étant positionnée sur des secteurs qui ont le moins souffert de la crise. Prenons l’exemple de la restauration qui reste une partie importante du quotidien et du PIB et qui est pourtant presque inexistante au sein des indices boursiers.

Faut-il, selon vous, revenir vers les petites valeurs ?

Il y a un engouement, de la part des clients, sur la recherche de sens. L’idée que nous défendons est que les entreprises qui veulent gagner des parts de marché et qui innovent ont toutes les chances de voir leur valorisation décoller. C’est cette création de valeur de manière entrepreneuriale et industrielle et non de façon spéculative que nous recherchons aujourd’hui. Les entreprises innovantes sont souvent des petites et moyennes valeurs qui pourront, comme ce fut le cas ces dernières années entrer dans les gros indices. Notre message est : intéressez-vous à la vraie vie plutôt que sur des approches spéculatives. Pensez aux fonds fermés et bloqués qui seront créateurs de valeur et qui limitent les arbitrages intempestifs.

Pour finir, que pensez-vous de la finance durable ?

Qu’elle est inévitable et qu’il s’agit d’un changement structurel. Nous avons tenté pendant 15 ans de convaincre les clients d’investir dans l’ISR. Aujourd’hui, c’est une demande massive de leur part qui rejoint la recherche de sens que j’évoquais en matière de small-caps. En deux ou trois ans, la prise de conscience a été très rapide et la finance durable et responsable est devenue un élément sine qua non. Les valeurs vertes sont devenues des placements que l’on recherche et dont la performance n’est pas le principal critère.
Propos recueillis par Jean-Charles Naimi

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