Djamel Souami « La dérégulation, les objets connectés et les produits liquides seront à la base de la Grande disruption de l’Assurance ».

Avec le développement des nouvelles technologies et notamment des objets connectés, du digital et du Big Data, l’innovation, la transformation et la révolution numérique touchent toutes les industries. Un grand nombre de secteurs se font disrupter. Sur le marché de l’assurance, des questions se posent. Les acteurs historiques sont-ils en danger par rapport à de nouveaux entrants ? Ces nouveaux entrants sont-ils une menace ou une opportunité ? En tant que décideur du secteur, nous avons interviewé Djamel Souami, Directeur-Associé de Micropole, par ailleurs Vice-Président du CTIP, afin d’avoir sa vision générale du sujet.
Selon vous, le secteur de l’assurance est-il engagé dans la voie de l’innovation disruptive ?
Chez Micropole, nous avons travaillé sur les processus d’innovation dans l’Assurance. Le benchmark sectoriel que nous réalisé a révélé que le secteur Assurance – Protection sociale repose sur les mêmes fondamentaux que celui des Télécoms. En effet, Télécoms et Assurance ont de multiples similitudes : beaucoup de clients, beaucoup de produits (des centaines de références), un réseau de distribution composé d’agences, de call centers, sites et apps, de distributeurs en marque blanche, une relation commerciale qui s’inscrit dans la durée, un poids significatif des technologies dans le business-model et enfin une mutualisation de capacités. Ainsi, une observation de ce qui s’est passé sur ce secteur pourrait servir à anticiper ce qui pourrait se reproduire dans l’Assurance ! La transformation du secteur des Télécoms commence par une dérégulation du marché avec une ouverture à la concurrence. Sur le secteur de l’Assurance, rien que sur les dernières années, la loi Lagarde, la loi Hamon, la fin des désignations, le référencement dans la fonction publique, …  ont provoqué une première onde de disruption. Dans les 5 prochaines années, le marché de l’assurance emprunteur évoluera fortement, avec des courtiers et des assureurs MRH qui se positionneront sur l’assurance de prêt, attirant les meilleurs risques et laissant les autres dans les portefeuilles des acteurs traditionnels (bancassureurs principalement). Je poursuis. Sur l’Auto, par exemple, dont le ratio combiné est déjà à 102 et où les coûts d’acquisition absorbent la cotisation de la 1° année. Qu’arrivera-il si la tacite reconduction devait tomber, amenant les assurés à devoir faire un acte d’achat tous les ans … et que l’on pouvait acheter sa couverture en 3 clics ? Le taux de résiliation passera-t-il alors de 15% (actuel) à 33% (le taux en UK) ? Si cela arrive, le secteur entrera dans une ère nouvelle, plus volatile où l’Expérience client deviendra alors un véritable levier de performance commerciale.
Mais aujourd’hui, en plus de ce qui s’est passé sur le marché des Télécoms, l’économie de partage s’est invitée à la fête alors qu’elle n’existait pas il y a 10 ans. Difficile toutefois de dire quel impact effectif elle aura sur le secteur de l’Assurance car la Mutualisation – pierre angulaire de l’assurance – est déjà une sorte d’économie du partage.
Une tendance forte du marché est que les assureurs se reposent de plus en plus sur des startups pour innover au détriment de l’interne. Cette tendance est-elle une opportunité ou un risque pour les assureurs ?
Dans l’état du marché de l’assurance, je ne pense pas possible de mener une transformation en se reposant à 100% sur l’interne. Certains assureurs misent ainsi sur l’innovation externe, notamment via leurs fonds d’investissements dans les startups, même si chacun sait que toutes les startups ne réussiront pas. Sur 10 startups sur lesquelles on investit, combien tiendront leurs promesses ? 8 en moyenne vont échouer, 1 va vivoter et la dernière va payer tout le monde … au mieux. La fertilisation ne se faisant pas seule, nous constatons l’émergence d’intrapreneurs. Quand on ne peut pas impulser l’innovation de l’intérieur, alors il faut la pousser de l’extérieur, pour irriguer l’interne. Prenons l’exemple de CNP. Ils ont lancé Open CNP, un fond d’investissement dans les startups, l’Observatoire de la génération Y, mais aussi Lyfe, une plateforme d’agrégation de services en BtoBtoC, et beaucoup d’autres initiatives expérimentales. En résumé, un acteur historique comme CNP effectue sa transformation en mixant interne et externe. Et ça semble marcher.
En revanche, et au-delà de réussites ponctuelles, je suis très réservé sur le développement de startups full internes, car soumises à la logique traditionnelle du ROI. Souvent, en interne, un projet n’est engagé que si un retour sur investissement est démontré. Or, beaucoup de projets à leur lancement, Uber, Facebook, Google, Twitter, … pour ne citer que des marques mondialement connues, n’auraient pas été lancés s’ils avaient dû passer au filtre du ROI. Mixer la culture interne traditionnelle, qui porte l’ADN des assureurs, avec les innovations créatives des insurtech est la voie du milieu : les intrapreneurs ont une belle page de l’histoire à écrire.
Certains évoquent le fait que la commoditisation, la banalisation de certaines offres d’assurance accélèreront très significativement la disruption de la distribution. Une des conséquences de la commoditisation de certains produits d’assurance pourrait être un transfert massif et implicite de la souscription de l’offre d’assurance auprès de tiers « distributeurs ». Ainsi l’acte d’achat de certains produits d’assurance encore B to C, pourrait irrémédiablement et majoritairement basculer en vente B to B to C. Qu’en pensez-vous ?
C’est un risque que les assureurs ne soient plus un jour que des porteurs de risque et que la distribution soit accaparée par des tiers, GAFA ou autres émergents. La question est de connaître l’ampleur de ce risque.
Si nous reprenons l’exemple des Télécoms, à l’origine seuls 3 produits étaient proposés : le combiné téléphonique, l’abonnement et le minitel. Aujourd’hui, au-delà d’un abonnement forfaitisé, porte d’accès, ils proposent de nombreux services qui s’achètent en un clic ou deux, et qui sont au cœur de leur business-model. Imaginez si les opérateurs télécom s’étaient cantonnés à leur offre de capacité, le cable, la fibre, et se limitaient à transporter de la voix et de la data …
Avec la montée en puissance de l’IoT et la capacité à suivre son client au plus près, les acteurs de l’assurance seront bientôt en situation de proposer des produits « liquides », que l’on consomme à la volée, en snacking. Des « services liquides » devrais-je plutôt dire tant il est essentiel que les assureurs proposent autre chose que des produits d’assurance. Et pour le coup, je pense qu’on peut faire confiance aux insurtech pour créer ces « services liquides », que les assureurs traditionnels pourront ensuite reprendre et diffuser.
L’intermédiation du secteur de l’assurance peut-elle être disruptée par des géants comme Amazon, Facebook qui ont pour point fort de savoir gérer de la data ?
Ces géants iront en priorité sur les marchés ouverts où le courtage est majoritaire, où il n’y a pas de tacite reconduction par exemple, comme la Grande-Bretagne. Avant qu’ils n’arrivent en France, il faudra du temps. Tant qu’ils n’auront pas conquis des marchés plus accessibles, ils ne viendront pas sur des marchés complexes où il y a d’autres réseaux de distribution bien implantés.
En revanche, je regarde avec la plus grande d’attention l’initiative récente d’Amazon, Berkshire Hathaway et JP Morgan, qui lancent une assurance santé collective qui sera proposée aux 1,2 million de salariés du groupement. Ils pourraient apprendre très vite ! Et pas que sur la distribution.
Pensez-vous que le secteur de l’assurance soit disruptable ? Quid de la Blockchain?
Je ne crois pas aux Blockchains sectorielles, mais d’avantage à des Blockchains transversales. Dans l’assurance, ce serait par exemple une Blockchain qui permettrait d’activer automatiquement, de manière fluide et harmonieuse, tous les acteurs concernés d’un « parcours » client. Par exemple pour un sinistre auto : Assisteur, garagiste, expert, assureur, incluant les prises de rdvs, les paiements, la livraison à domicile, … ou en Santé après une analyse biologique : labo, médecin traitant, CPAM, complémentaire, infirmiers, kiné, …
Maintenant, si la Blockchain est, comme je le pense, d’avantage un protocole qu’une technologie et qu’elle suit la même évolution que http – protocole inventé dans un laboratoire genevois, il y a toute juste 25 ans, qui a ouvert l’Humanité à Internet – personne, absolument personne, ne peut imaginer ce que sera le monde qui en résultera en 2040 !
Pour revenir sur terre, je crois que l’évolution de l’assurance des 10 prochaines années reposera sur la fragmentation des produits/services, les objets connectés et le partage de données personnelles des assurés en échange de services personnalisés. Les jeunes générations sont beaucoup moins réticentes à partager leurs données avec leur assureur, ils le font sur Facebook depuis leur plus jeune âge. L’exploitation des données par les assureurs ciblera d’abord les produits les moins intrusifs. La santé sera probablement le dernier secteur impacté, l’assurance auto et la MRH ouvriront le bal. La disruption viendra grâce aux datas exploitées et aux futurs services associés. La dérégulation sera un accélérateur.
Heureusement, ou malheureusement c’est selon l’angle de vue, il n’y a pas, à l’heure actuelle, de sentiment de danger vital chez les assureurs. Le marché tient ses grands équilibres. Or on n’innove que sous la contrainte. Pourquoi prendre des risques élevés – financier, d’image, de désorganisation interne, de grogne des réseaux commerciaux, … – si c’est juste pour gagner de la notoriété dans la presse spécialisée et 0,1% de part de marché ? Par contre, le jour où l’onde atteindra la côte, ce seront les entreprises les plus innovantes, les plus à la pointe de la technologie et les plus entrainées qui s’en sortiront le mieux. Axa et Allianz semblent s’y préparer, tout comme Malakoff Médéric. Et probablement VYV bientôt.
Retrouvez Djamel Souami :

Contact : Jean-Luc Gambey 
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