Au 19° siècle, la France en guerre contre les compagnies d’assurances anglaises

Au milieu de 19°siècle, le Royaume uni était très en avance dans le domaine de l’assurance, et particulièrement en assurance vie.

Comme le mentionne le Professeur Georges Hamon « en 1816, l’Angleterre possédait 15 compagnies ou sociétés d’assurances sur la vie, leur nombre s’élevait à 78 en 1860 et environ à une centaine en 1896. Certaines d’entre-elles se sont implantées en France, telles L’Union de Londres ou encore le Gresham (1).

Leur implantation, sur le sol Hexagonal, sous le second empire, suscite la méfiance de ses concurrentes françaises. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au recueil d’instructions de la compagnie l’Union, daté de 1866, remis à ses agents principaux. Le manuel comporte quatre chapitres, dont un consacré à la concurrence, notamment étrangère. Les recommandations, plus que chauvines, données à ses agents généraux ne manquent pas de saveur. En voici quelques extraits.

Les assureurs anglais présentés comme peu solides

Pour commencer, l’Union n’hésite pas à déclarer que : « en matière d’assurance sur la vie les anglais sont nos prédécesseurs et nos maîtres, mais que cela n’est pas une raison pour que toutes les compagnies anglaises soient bonnes. » En s’appuyant sur un article du Times, le recueil précise ainsi « qu’en 1856, 36 compagnies anglaises se trouvaient dans une situation déplorable, ayant dépensé les primes et les intérêts reçus, tandis que 40 autres n’avaient pas jugé à propos de présenter leurs comptes. Ainsi, de l’aveu même des Anglais, tout ce qui vient d’Angleterre en fait d’assurance sur la vie ne doit pas être accepté sans contrôle », est-il précisé.

Vive le protectionnisme

Le manuel poursuit en affirmant que, généralement, les sociétés sagement administrées se bornent à exploiter leur pays, dans la mesure où « l’on est beaucoup plus fort chez soi » et que l’on est moins exposé aux fraudes. « Les principales compagnies anglaises n’ont jamais songé à venir en France, ce ne sont que des compagnies secondaires qui s’y sont établies, et même plusieurs d’entre elles ont abandonné le terrain. Une de ces compagnies s’est retirée de l’autre côté du détroit sans avoir rempli ses engagements ne laissant à son créancier d’autres ressources que de la poursuivre en Angleterre », avertit également la direction de l’Union.

Le bon père de famille doit se méfier de Gresham

L’Union poursuit en jetant le discrédit sur une compagnie anglaise en particulier, le Gresham, en mettant en avant que celle-ci s’est établie « à grand frais et qu’elle dispute vivement les affaires aux agents généraux de l’entreprise française ».

Créée en 1848 à Londres, le Gresham s’est installé à Paris en 1854 dans le but d’exploiter en France les assurances sur la vie. L’Union n’hésite pas à aller plus loin dans ses attaques en précisant que, selon son prospectus, le Gresham obtiendrait en France des résultats importants qu’elle avoue ne pas comprendre (le Gresham promet 80 % de participation dans ces bénéfices).

Dans ces conditions la compagnie française conclut qu’il lui semble étrange « qu’un homme sensé et soigné de ses intérêts aille à prix égal s’adresser à une société étrangère dont les ressources et la position lui sont complètement inconnues tandis qu’il a sous la main des sociétés françaises qui offrent des garanties incontestables et incontestées et dont il peut contrôler la situation financière par la lecture des comptes rendus annuels. ».
Les sociétés anglaise devinrent vite la cible des assureurs français.

Comme le décrit Marine Vigneron (2), un article paru dans le Moniteur des assurances de décembre 1883 déplore l’attraction des Français pour les compagnies étrangères, en particulier anglaises et américaines. L’auteur interpelle les Français, qualifiés de « naïfs », qui croient que « tout est parfait à la condition d’avoir une étiquette anglaise, qu’il s’agisse de rasoirs, de parapluies ou d’assurances ». Le média les met en garde contre les fausses annonces et leur dit : « Quand arrivera l’heure des difficultés et des déboires, ne venez pas vous plaindre ».

Les anglais aiment les actions, les français préfèrent la rente

Parmi les avantages mis en avant par l’Union, figure la sécurité des placements réalisés par les compagnies françaises. « Les compagnies anglaises (…) peuvent placer les fonds de leurs assurés en valeur de spéculation », avance le recueil des instructions de l’Union. « Si cela réussit, rien de mieux, mais s’il y a des pertes l’avenir peut être compromis. Bien au contraire, l’Union ne peut placer qu’en d’immeubles ou en fonds dont l’état est ou peut devenir débiteur. Ainsi vous n’avez qu’à parcourir nos comptes-rendus et vous verrez que, outre les immeubles, nos portefeuilles ne se composent que de rente sur l’État, obligations de chemin de fer ou annuité des canaux. Cela est moins fructueux mais beaucoup plus sûr. »

Ne cherchons plus d’où vient l’aversion aux risques des assurés français depuis près de 200 ans !

Risque de guerre avec l’Angleterre

Cerise sur le gâteau, le manuel de l’Union à destination de ses agents souligne le risque de guerre avec l’Angleterre. « Nous aimons à croire qu’une pareille éventualité ne menace pas cependant il faut tout prévoir ». Pour l’Union, « l’ensemble de ces considérations sont plus que suffisantes pour empêcher  tout homme prudent de s’adresser au Gresham », est-il écrit en conclusion du recueil d’instructions.
Fort heureusement, il n’y eut plus de conflit armé entre le Royaume-Uni et la France et, malgré cette concurrence quelque peu déloyale, la compagnie le Gresham est restée sur le sol français. Experte dans les domaines de la gestion de patrimoine, elle est aujourd’hui une marque du groupe Apicil et intervient sous le nom de Gresham Banque Privée.

Jean-Charles Naimi

  • Histoire générale de l’assurance en France et à l’étranger – 1896
  • La réglementation des assurances sur la vie en France (1681-1938) : éléments de comparaison avec l’Angleterre – Thèse en vue de l’obtention du Doctorat de l’Université de Toulouse – Délivré par l’Université Toulouse Capitole – 14 novembre 2020

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