La RSE va-t-elle signer la fin du mutualisme ?

Christian Oyarbide – Président de Mutlog répond aux questions de Jean-Luc Gambey pour Vovoxx Média, dans le cadre du Magazine #5 Dessine-Moi l’Assurance.

Jean-Luc Gambey : Vous avez écrit récemment une tribune intitulée, « LA RSE va-t-elle signer la fin du mutualisme » ? Pourquoi ?

Christian Oyarbide : Je voulais saisir le sujet RSE pour poser cette question : le mutualisme a-t-il aujourd’hui une utilité spécifique ?

La mission des mutuelles n’est pas de « vendre » des contrats d’assurance et de les exécuter mais plus largement de donner, à tous, accès à la santé et pour nous, Mutlog, au logement.

Cependant, même ainsi élargie, cette « utilité » ne qualifie pas spécifiquement le mutualisme au moment où la RSE, les raisons d’être, les entreprises à mission font irruption dans nos secteurs.

Notre référentiel de valeurs mutualistes est-il simplement un avatar de ces nouveaux référentiels de vertu ?

Parmi nos valeurs, trois sont consubstantielles au mutualisme : la solidarité, la démocratie, la non-lucrativité. Qu’impliquent-elles ?

C’est assez simple : nous ne pouvons pas « faire solidarité » avec l’argent de nos adhérents sans en décider démocratiquement. La motivation de mes prises de parole est celle-ci : si nous, mutualistes, courrons après les obligations issues de référentiels externes, nous courrons le risque d’oublier que notre devoir de mutualiste les dépasse largement. Notre devoir de solidarité est impératif, il préexiste à toute norme, il dépasse toute autre contrainte.

L’engagement sociétal mutualiste, quand il est vraiment incarné, impose beaucoup plus que n’importe quel engagement RSE. La RSE ne peut donc pas être l’horizon de nos engagements puisque si nous sommes mutualistes, nos obligations vont au-delà et ailleurs, notamment en matière de démocratie.

Pourquoi faire cette tribune maintenant ?

CO : C’est le 2ème aspect de la question. Avant même que nous ayons pris le temps de réfléchir collectivement à nos impératifs « moraux » mutualistes, nous voyons poindre les contraintes réglementaires issues de la RSE, de l’ISR, de la durabilité qui prétendent nous dicter nos obligations de vertu. Dans notre métier, elles se rajouteront à celles de Solvabilité 2, DDA, RGPD etc… .

Si nous nous laissons engloutir sous ces contraintes, nous allons nous retrouver à remplir des tableaux qui feront conformité mais qui, de mon point de vue, ne changeront rien aux problèmes qu’ils prétendent résoudre. Nous confierons ce remplissage aux fonctions de contrôle, mais cela n’aura rien à voir avec un engagement pour la société, pour la planète. Et là, les gagnants, les soit disant plus vertueux ne seront pas nécessairement ceux qui sont les plus engagés, mais ceux qui ont le plus d’équipes pour remplir les cases ! Si nous ne faisons pas l’effort, nous mutualistes, de faire autre chose que de remplir des cases, nous ne serons pas mieux armés que les autres et nous seront assimilés à eux.

Vous abordez « la fin d’un mutualisme qui ne cherchera pas à imiter le pilotage des sociétés de capitaux ». Vous pensez que cela va arriver ?

CO : C’est ce que nous vivons déjà en termes d’analyses comptables ou de solvabilité… Résultat, nous avons les mêmes indicateurs de performance financière que les sociétés de capitaux et nous pilotons avec. En jouant systématiquement sur le terrain de l’adversaire, nous perdons tous les matchs. Et sur le terrain de la « vertu », même motif, même punition.

Où seront les espaces pour nous différencier ? Quand j’affirme que nous signons la fin du mutualisme, je parle du mutualisme exigeant. Je ne parle pas d’un mutualisme qui se dissout dans la conformité et les principes de bonne gouvernance, je parle d’un mutualisme dont la mission principale est d’aller vers les gens pour les aider au-delà du contrat.

Cela n’est pas inéluctable et c’est mon engagement de Président mutualiste de démontrer que nous pouvons piloter une mutuelle autrement que comme une société de capitaux.

Vous parlez des mutualistes qui n’imposent pas leur terrain de jeu. Sont-ils déficients dans la dimension d’expression de ce référentiel de valeurs ?

CO : Nous n’avons pas su nous « réinventer » pour coller aux défis qu’affrontent nos sociétés, englués que nous étions dans la succession de modifications réglementaires, dans les réformes à jets continus où l’État pilote nos activités, dans la concurrence accrue. Aujourd’hui, sur ces terrains nous ne jouons plus mutualiste : nous jouons sur le terrain des autres.

Mais pour jouer à domicile, il faudrait encore redéfinir ce qu’est notre domicile ! Quelles en sont les contraintes, les enjeux et encore une fois les utilités spécifiques. Mais je vais plus loin : nous ne gagnerons pas, même en match aller-retour. Nous devons changer les règles du jeu. Ou même changer le jeu lui-même. C’est une vision militante de la Mutualité qui cherche à transformer les conditions qui créent les difficultés que nous prenons en charge. En d’autres termes et pour revenir à la RSE, l’idée serait de définir un référentiel d’engagements spécifiquement mutualistes, plus exigeants et qui ouvrent des espaces pour changer le monde.

Vous avez cité trois thèmes forts : solidarité, démocratie, non lucrativité. Pensez-vous qu’il faut aller au-delà, avec d’autres valeurs ?

CO : Je pense qu’il faut d’abord dire de quelle manière nous incarnons ces trois-là. Il ne suffit pas de les énoncer, il faut les traduire dans des actes. Par exemple, en créant une fonction référente valeur mutualiste qui en rend compte, ce que nous avons fait chez Mutlog. Au-delà de ces trois valeurs, il y a toute une série de questions à travailler sur l’engagement bénévole, la proximité. Des valeurs en perte de vitesse chez nous. Est-ce qu’on peut les ressusciter ? Nos métiers sont devenus extrêmement techniques.

Si nous ne faisons pas l’effort, encore une fois, de réexprimer les enjeux mutualistes avec d’autres mots que ceux de la réglementation, nous allons réduire le rôle des administrateurs à la vigilance sur la solvabilité et la conformité règlementaire et la solidarité à des œuvres philanthropiques.

Quel beau programme !  Réexprimer les questions qui se posent dans nos métiers à la lumière de nos valeurs est une urgence absolue, précisément parce que les réponses ne sont pas évidentes et que leur incarnation s’inscrira dans le temps long. Nous pourrions, par exemple, créer une université des valeurs mutualistes qui ferait de la recherche fondamentale sur ce que sont la démocratie ou la solidarité aujourd’hui. Et qui formerait ensuite les dirigeants mutualistes au pilotage par ces valeurs.

En conclusion ?

CO : Très pratiquement, dès maintenant, nous pouvons, nous devons aller au-devant des gens les plus en difficultés pour les aider vraiment, pour leur donner plus que le contrat. Nous devons faire vivre la démocratie dans nos instances pour en débattre. Nous devons commencer à piloter autrement que par le résultat comptable. Et en même temps, nous devons nous mettre au boulot pour repenser la démocratie, la solidarité, la proximité, le lien social. En gardant à l’esprit que ces belles idées parlent de bien plus que de nos métiers ou de notre forme juridique, ils parlent de et à l’ensemble de nos concitoyens.

A cet égard, nous n’avons pas le droit, dans une période où elles sont malmenées dans l’ensemble des sociétés, de nous en prévaloir si nous ne faisons pas l’effort de les incarner.

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