Dépendance : "proposer une grammaire commune et une charte de l’assurance dépendance"

Pierre Mayeur, Directeur Général de l’OCIRP, évoque un des sujets majeurs pour la profession, la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour financer la perte d’autonomie.  Pierre Mayeur, la loi relative à la dette sociale et à l’autonomie ouvre la voie à la création d’une 5Ième branche pour financer le risque de perte d’autonomie. Est-ce une avancée majeure ?
La loi a pour objectif immédiat de transférer une nouvelle masse considérable de dette sociale -136 milliards d’euros- à la charge de la CADES, ce qui réduit à néant, et pour de longues années, la possibilité d’un financement de la perte d’autonomie à travers tout ou partie de la principale recette affectée à cette caisse, la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Pour devancer cette critique, le Gouvernement a choisi de transférer en 2021 une petite fraction de CSG au financement de la perte d’autonomie. Et la majorité parlementaire a souhaité affirmer l’existence d’une cinquième branche, dont les conditions de création vont être précisées par un rapport. Mais au-delà de ces péripéties de nature politique, j’aurais tendance à considérer que la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale est une avancée majeure. Le plus important est de prendre le sujet à bras le corps. Avec des contraintes : créer une branche de sécurité sociale, cela nécessite notamment d’affecter des recettes à des dépenses et de s’obliger à définir un équilibre au moins prévisionnel, et dans la durée, de ce « budget » autonomie.
Les organismes assureurs ne semblent pas, pour l’heure, conviés à participer aux fondations de cette 5ième branche. Est-ce normal ? Un financement seulement public peut-il être suffisant ?
Par construction, la création d’une cinquième branche fait référence à la Sécurité sociale, donc un modèle public de financement. La grande majorité des dépenses liées à la perte d’autonomie est aujourd’hui déjà prise en charge par la Sécurité sociale : ce sont d’abord des dépenses de soins. Le rapport de Dominique Libault rendu en mars 2019, qui sert de référence aux travaux de la mission conduite actuellement par Laurent Vachey, indiquait clairement que les dépenses liées à la santé et à la dépendance avaient vocation à être prises en charge par des financements publics. En revanche, toutes les dépenses liées à l’hébergement de personnes âgées, en établissement comme à domicile pour des cas lourds, ne pourront pas être financées par la Sécurité sociale. C’est notamment sur ce segment des restes à charge, pour des personnes disposant à la retraite de revenus moyens, que l’intervention des organismes assureurs est pleinement nécessaire et légitime.
Pourquoi les assureurs ont eu du mal jusqu’à présent sur les garanties dépendance ? Ce risque est-il assurable ? Les offres vont-elles évoluer ?
 Ces trois questions mériteraient un livre pour y répondre ! Je vais essayer d’être synthétique :
1°) La perspective d’un cinquième risque ou d’une cinquième branche, présente dans le débat public depuis vingt ans, a eu pour conséquence un attentisme des différents acteurs, à commencer par les clients potentiels. Ensuite, c’est un risque qui fait peur, y compris aux assureurs, et dont l’horizon de très long terme peut interroger. Enfin, comme l’articulation des dispositifs assurantiels avec le dispositif public n’a pas été réalisée, l’assurance dépendance a fait l’objet d’un certain nombre de critiques.
2°) Je pense que la dépendance lourde est assurable, de manière forfaitaire bien sûr. Parce qu’aucun assureur, public ou privé, ne peut garantir qu’il prendra en charge, quoi qu’il arrive, toutes les dépenses liées à la perte d’autonomie.
3°) Les offres vont évoluer en fonction des besoins et du dispositif public rénové qui sera probablement mis en place pour succéder à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en établissement. La question de l’articulation avec la grille AGGIR va immanquablement se reposer. Mais les assureurs ne doivent pas se limiter à proposer des garanties financières : à eux de montrer qu’ils sont les plus adéquats pour mettre en place des dispositifs d’accompagnement et de services et des garanties pour les aidants.
Que pensez-vous des propositions de la FFA-FNMF qui consiste à créer une nouvelle cotisation dans les complémentaires santé pour financer une prise en charge par répartition ?
Ces propositions sont intéressantes et présentent une vertu pédagogique : elle peuvent contribuer notamment à instiller l’idée que l’assurance peut jouer tout son rôle. Le modèle de ce dispositif reste cependant à décrire précisément : quels organismes assureurs ? quelle gouvernance et notamment quelle place pour les partenaires sociaux ? quelle valeur ajoutée par rapport à la Sécurité sociale ? On peut noter que l’idée d’inclure une offre dépendance dans une complémentaire santé n’est certes pas une idée nouvelle. Mais la confusion d’une assurance de long terme avec des garanties santé peut sembler aujourd’hui curieuse.
Les branches professionnelles doivent-elles soutenir des garanties collectives de dépendance ou faut-il laisser ce marché à l’individuel ?
En tant que directeur général de l’OCIRP, mais également en tant qu’acteur de la protection sociale depuis maintenant de longues années, il me semble que la réponse est dans la question ! Oui, bien sûr, c’est un champ d’action potentiel très intéressant pour les branches professionnelles, dépassant la seule protection sociale. Et on voit bien que l’histoire de la protection sociale complémentaire en France passe par une diffusion progressive dans et par les branches, ce qui est d’ailleurs un moyen de dépasser le débat assurance obligatoire versus assurance facultative. Ces garanties collectives de dépendance doivent rassembler de manière large trois aspects :

  1. la prévention de la perte d’autonomie, et on rejoint ici les questions de santé au travail : le « bien vieillir » commence en entreprise ;
  2. la question des aidants, les salariés pouvant ainsi trouver des réponses à leurs interrogations et à leurs besoins ;
  3. le financement futur. Une cotisation, même minimale, partagée entre l’employeur et le salarié est de nature à amorcer le financement d’un dispositif pour la future perte d’autonomie du salarié. Et lui permettre ensuite de continuer à cotiser à titre individuel. Il faut en conséquence que nous puissions progresser sur deux points majeurs : la portabilité des droits et l’information donnée aux salariés à des moments de rupture clés (départ de l’entreprise, préparation de la retraite, retraite…)

Quelles sont vos propositions et vos offres dans le domaine de la dépendance ?
L’OCIRP commercialise depuis maintenant plusieurs années, grâce à ses membres et à ses partenaires, une garantie disponible à la fois en collectif et en individuel qui propose un contrat en points, accessible sans questionnaire médical. Nous nous appuyons sur la grille AGGIR utilisée pour l’APA par les conseils départementaux. Nous avons lancé également une garantie Aidants, unique sur le marché, et qui allie un petit capital pour la personne aidée, une compensation financière partielle pour le salarié -s’articulant avec le dispositif Sécurité sociale qui devrait être opérationnel à compter du 1er octobre prochain- et une panoplie de services de grande qualité.
Nous réfléchissons naturellement à adapter nos offres aux attentes du marché. Il faut espérer que le débat sur la loi autonomie permettra de faire mûrir les esprits et que notre société s’adapte dans de meilleures conditions à la révolution démographique en cours.
Avez-vous d’autres commentaires ?
Un message simple : l’assurance est pleinement légitime à intervenir en acteur complémentaire sur la perte d’autonomie. Plutôt que tout encadrer de manière rigide dans un seul schéma assurantiel déterminé par la loi, la pluralité des solutions constituera un atout. Le rôle des pouvoirs publics consiste à favoriser le développement d’une assurance dépendance, à travers des contrats individuels ou collectifs : c’était d’ailleurs l’une des propositions du rapport de Dominique Libault. Aux acteurs de l’assurance de proposer une « grammaire commune », une « charte de l’assurance dépendance », portant sur le respect de grands principes (accessibilité, intelligibilité, portabilité) qui permette de donner confiance.
Interview effectué par Jean-Luc Gambey L’assurance En MouvementVovoxx

Vous souhaitez être contacté par notre rédaction ?

    Vous souhaitez être contacté par notre service commercial ?