Alors que le taux d’épargne dépasse 18 %, les enjeux de réorientation vers l’investissement productif s’intensifient pour les acteurs de l’assurance et du patrimoine. Une situation inédite depuis 1979, qui appelle à des ajustements stratégiques face à la transition démographique.
Le taux d’épargne des ménages français a atteint 18,8 % du revenu disponible brut au premier trimestre 2025, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Il s’agit du niveau le plus élevé enregistré depuis près d’un demi-siècle. Ce phénomène, analysé par Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne, s’explique en grande partie par le comportement d’épargne renforcé des retraités, dont les pensions ont connu deux hausses successives en janvier 2024 (+5,3 %) et janvier 2025 (+2,2 %). Les régimes complémentaires Agirc-Arrco ont également été revalorisés, contribuant à une dynamique d’accumulation d’épargne chez les plus de 64 ans.
Cette évolution, bien que portée par les seniors, dépasse cette seule tranche d’âge. L’ensemble des ménages a vu son pouvoir d’achat augmenter de 2,5 % en 2024, mais la consommation n’a progressé que de 1 %, renforçant une tendance généralisée à l’épargne de précaution.
Une épargne de précaution nourrie par les crises récentes
Si cette montée en puissance de l’épargne peut sembler contre-intuitive en période post-inflationniste, elle reflète un climat général d’incertitude. Pandémie, guerre en Ukraine, tensions géopolitiques et instabilité budgétaire nationale ont alimenté des comportements prudents et défensifs. Cette situation de stress persistant explique que le taux d’épargne moyen prévu pour l’ensemble de 2024 devrait s’élever à 18,2 %, contre 14,4 % en 2019.
Pour les professionnels de l’assurance, cette évolution met en lumière une attente croissante des ménages vis-à-vis des produits d’épargne sécurisés, en particulier ceux orientés vers la prévoyance et la retraite. Les enjeux d’éducation financière sont également soulignés dans les publications du Cercle de l’Épargne, qui plaide pour une meilleure compréhension des mécanismes économiques par les citoyens.
Le vieillissement, un facteur structurant de long terme
Au-delà du conjoncturel, la démographie joue un rôle déterminant. Les ménages de plus de 50 ans, disposant de revenus stables et de charges allégées, sont nombreux à épargner en vue de leur propre dépendance ou dans une logique de transmission. Le fait qu’ils soient souvent propriétaires renforce leur capacité d’épargne nette. L’orientation vers des produits de long terme, tels que les contrats d’assurance vie ou les plans d’épargne retraite, s’inscrit ainsi dans une stratégie patrimoniale structurée.
Cette réalité est à intégrer dans les stratégies des assureurs et intermédiaires financiers, qui doivent adapter leur offre à cette demande croissante pour des produits à horizon long, tout en garantissant leur accessibilité et leur performance dans un contexte de taux incertains.
Un levier sous-exploité pour financer la croissance
Contrairement à certaines idées reçues, l’épargne n’est pas un frein à l’économie. Bien orientée, elle est un catalyseur de l’investissement et de l’innovation. Elle permet de financer les infrastructures, de soutenir les entreprises via le crédit et d’améliorer la résilience économique nationale. Face à un appareil productif fragilisé et un déficit commercial structurel, il devient crucial de réorienter l’épargne vers l’économie réelle.
Cela suppose un effort concerté entre l’État, les institutions financières et les acteurs du secteur de l’assurance pour développer des produits attractifs et sécurisés qui canalisent cette épargne vers les secteurs porteurs. Dans ce contexte, les mécanismes incitatifs comme l’épargne réglementée, les dispositifs de type PEA ou assurance vie en unités de compte pourraient jouer un rôle clé, à condition d’être repensés dans une logique d’impact.
Vers une stratégie nationale de l’épargne ?
L’analyse de Philippe Crevel interpelle enfin sur la nécessité de mieux articuler politique monétaire, stratégie budgétaire et dynamique d’épargne. Sans abondance de capital national, le coût du financement de la dette s’élèverait, et la note souveraine de la France subirait davantage de pression. Dans un environnement où la souveraineté économique est redevenue un enjeu central, faire de l’épargne un outil stratégique devient incontournable.