"La loi de mensualisation fragilise les entreprises en manque de trésorerie"

Protectrice des salariés, la garantie de maintien de salaire de l’employeur en cas d’arrêt maladie peut, dans le contexte sanitaire actuel ; s’avérer difficile à mettre en œuvre., d’autant que cette obligation, à la charge de l’entreprise, n’est pas toujours assurée. Olivier Labes, juriste au service conseil et contentieux assurances collectives de CNP Assurances, revient pour l’Assurance en Mouvement sur le principe de la loi de Mensualisation et ses aménagements temporaires pour tenir compte de la crise du Covid-19.
L’Assurance en Mouvement : Pouvez-vous nous rappeler le fonctionnement de la loi dite de mensualisation ?
Olivier Labes : L’Accord National Interprofessionnel du 10 décembre 1977 suivi de la loi du 19 janvier 1978, dite loi de mensualisation, obligent l’employeur à maintenir le salaire de son personnel en cas d’arrêt maladie. L’employeur intervient en complément des indemnités journalières versées par la Sécurité sociale et, lorsqu’elles existent, des indemnités provenant d’un régime complémentaire de prévoyance.
Jusqu’à la crise du Covid-19, pour pouvoir bénéficier de la loi de mensualisation, le salarié devait respecter un certain nombre de conditions : transmettre à l’employeur, sauf cas particulier, un certificat médical dans les 48 heures, bénéficier des indemnités journalières versées par la Sécurité Sociale, être soigné en France ou dans l’un des États membres de l’Espace économique européen (EEE) et surtout justifier d’une année d’ancienneté dans l’entreprise calculée à partir du premier jour d’absence. Par ailleurs, la loi imposait un délai de carence de 7 jours. Enfin, elle ne s’appliquait pas aux travailleurs à domicile ou salariés saisonniers, intermittents ou temporaires.
En application de la loi de mensualisation, le salarié en arrêt maladie perçoit 90 % de sa rémunération brute les 30 premiers jours, puis 66,66 % à partir du 31ème jour d’arrêt consécutif pendant de nouveau 30 jours, soit 60 jours au total. Pour rappel, les durées d’indemnisation augmentent de 10 jours par période entière de 5 ans d’ancienneté. Ainsi, par exemple, un salarié ayant 6 ans d’ancienneté sera indemnisé à hauteur de 90 % de son salaire brut pendant 40 jours, puis à hauteur de 66,66 % pendant les 40 jours suivants et ainsi de suite.
On notera par ailleurs que les durées d’indemnisation courent à compter du 1er jour d’absence si celle-ci est consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Enfin, soulignons que de nombreuses conventions ou accords collectifs prévoient une indemnisation plus avantageuse que l’indemnisation légale, voire un délai de carence plus court et une période d’indemnisation plus longue.
Quelles sont les mesures dérogatoires prises dans le cadre de la crise sanitaire actuelle au niveau des arrêts maladie ?
Depuis la fin janvier, par différents textes, le droit aux indemnités journalières de l’assurance maladie a été ouvert à tous les salariés faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile due au coronavirus. Les parents d’un enfant de moins de seize ans faisant lui-même l’objet d’une telle mesure et qui se trouvent dans l’impossibilité de continuer à travailler, carne pouvant avoir recours au télétravail, bénéficient des mêmes droits. Notons que ces personnes passeront automatiquement en chômage partiel à compter du 1er mai 2020, soulageant ainsi la trésorerie des entreprises puisque ce dernier est en grande partie pris en charge par l’Etat.
Depuis mars 2020, les pouvoirs publics ont également ouvert la possibilité de bénéficier d’un arrêt de travail pour les personnes présentant un risque de développer une forme grave d’infection telles que les personnes souffrant d’insuffisance respiratoire chronique, d’insuffisance rénale, de diabète, d’antécédents cardiovasculaires et les femmes enceintes.
Enfin, l’ordonnance du 25 mars 2020 a supprimé le délai de carence applicable aux indemnités journalières pour tous les arrêts de travail, liés au Covid-19 ou non.
Ces mesures sur les indemnités journalières ont-elles un impact sur la loi de mensualisation ?
Oui, car les pouvoirs publics ont, dans un souci de cohérence avec les indemnités journalières de la Sécurité Sociale, aménagé le dispositif de mensualisation, à partir du 27 mars 2020. Jusqu’au 1er mai 2020, le maintien de salaire est ainsi ouvert à tous les salariés bénéficiant d’un arrêt de travail dans les conditions dérogatoires liées à la crise sanitaire précédemment mentionnées, y compris aux salariés travaillant à domicile, saisonniers, intermittents et temporaires, à la seule condition d’être pris en charge par la Sécurité Sociale. En outre, les autres conditions, dont celle d’une année d’ancienneté dans l’entreprise, sont supprimées. Par ailleurs, à compter du 4 mars 2020 et jusqu’au 30 avril 2020, le délai de carence de 7 jours applicable à l’indemnité complémentaire de l’employeur pour ces arrêts de travail est lui aussi supprimé.
Enfin, le bénéfice du maintien de salaire est maintenu pour les arrêts de travail de droit commun y compris les salariés travaillant à domicile, saisonniers, intermittents et temporaires, sans condition d’ancienneté dans l’entreprise. Par ailleurs le décret du 16 avril 2020 est venu supprimer le délai de carence et ce jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire
Quelles sont les conséquences concrètes pour les entreprises ?
La crise du coronavirus élargit le champ de prise en charge par l’employeur des arrêts de travail. Compte tenu du fort ralentissement de l’activité économique, certaines petites et moyennes entreprises éprouvent des difficultés à faire face à cette obligation dans la mesure où elles ne disposent pas de la trésorerie nécessaire et ne sont pas, dans la majorité des cas, assurées contre ce risque. En effet, leurs contrats collectifs de prévoyance souscrits à titre obligatoire interviennent en relai de la mensualisation, généralement après un délai de carence de 90 jours voire plus.
Car le risque de maintien de salaire est assurable ?
Oui, mais la jurisprudence a considéré dans plusieurs arrêts du 23 novembre 2006 que la prime finançant un contrat d’assurance de « mensualisation » n’est pas une prime couvrant l’arrêt de travail du salarié mais une prime couvrant l’obligation de l’employeur de maintenir le salaire. En d’autres termes, le risque couvert n’est pas de la prévoyance mais de la perte pécuniaire.
De cette jurisprudence, il faut en tirer comme conséquences que le contrat d’assurance sera soumis à la taxe sur les conventions d’assurance au taux de 9 % contrairement à certains contrats de prévoyance qui eux, sont exonérés. Par contre, la prime de l’employeur n’est pas soumise au forfait social de 8 %, ce dernier ne s’appliquant qu’au financement des prestations complémentaires de prévoyance versées au bénéfice des salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit.
Interview réalisé par Jean-Charles Naimi

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