Caroline Adam : contribution sur la relation clients

Caroline Adam – Déléguée Générale SP2C a contribué au nouvel ouvrage* collectif : « Les Transformers de la relation clients » dans l’assurance, proposé récemment par Vovoxx Média. Une contribution intitulée « De la relation clients entre la loi de Schumpeter et la loi d’Amara … à l’expérience client polarisée »

« “Le client n’est pas la source de l’innovation.” écrivait l’économiste Joseph Schumpeter dans son ouvrage Le cycle des affaires, où il expose sa – désormais – fameuse théorie de la destruction créatrice et des grappes d’innovation pour expliquer les cycles économiques et leurs impacts sociétaux.

Ce que constatent toutefois les acteurs de la relation client externalisée est que la création devient innovation lorsque c’est nouveau ET surtout utile. C’est l’essence même de la méthode des « test and learn » et autres POCs (Proof of Concept ou preuve de concept) mis en œuvre au service des clients de leurs clients, que ce soit dans le secteur du retail, comme dans le secteur de l’assurance. Un des canaux récents qui n’a pas encore trouvé son large public demeure le métavers par exemple. De par leur vision multisectorielle et internationale, les BPO (Business Process Outsourcing ou délégation de certains processus internes à des prestataires) deviennent alors conseil, développeur, testeur et intégrateur de solutions (pas seulement techniques d’ailleurs), bien au-delà de l’industrialisation des processus et de l’excellence opérationnelle qu’on leur concède.

Cependant, dans le contexte actuel de bouleversement géopolitique, et de stagnation économique en France, le ROI (Return on investment ou Retour sur Investissement) devient roi pour chaque décision, et la mue de la vision du secteur de la relation client d’un centre de coût vers un centre de profit se voit ralentie.

De l’économie de l’attention : carburant de la relation clients

Pourtant, toute Marque, pour maintenir sa part de marché, doit aller au-delà des 4 (ou 7) piliers de base du mix-marketing, notamment par sa différence d’identité dont les premiers ambassadeurs, pour trouver un écho auprès du public cible, reste et restera toujours les personnes ou bot (!) en contact avec ses prospects et clients – et ce quel que soit le canal (téléphone, mail, réseaux sociaux, messagerie instantané, chat, …). La multiplication des canaux donc ou de quelqu’un. N’est-ce pas le cœur de la relation client ? y compris – et même surtout – si l’objectif est mercantile ?

Ma conviction est que la valeur ajoutée apportée par le produit ou service sera moindre demain dans une économie mondialisée, car tout concurrent peut se révéler copieur ou disrupteur sur le pas de ma porte comme à l’autre bout du monde. Les entreprises qui performeront auront plus que jamais porté leur attention à leurs risques immatériels. Spontanément, on identifie la réputation comme capital immatériel. Aussi la gestion anticipative de l’image nécessite un suivi assidu des plateformes des média sociaux et autres flux d’informations afin d’identifier rapidement les signaux faibles permettant de réagir avec célérité face à de potentiels difficultés. Les sources d’information, les technologies pour les suivre et les experts pour les analyser existent déjà : c’est la relation client.

La croissance des interactions chaque année le démontre : tout contact devient crucial pour capter l’attention, si ce n’est la fidélité. En effet, l’économie de l’attention développée par le prix Nobel Herbert Simon précise bien que lorsque « l’offre économique est abondante, l’attention du consommateur doit être considérée comme une ressource rare ». Qui dit ressource rare, dit attention à y porter, car l’attention c’est aussi la disposition que présente une personne à prendre soin, à être soucieuse de quelque chose Et pourtant, la relation client c’est comme la culture pour les particuliers, le premier poste de coupe budgétaire, considérée comme non essentielle. La crise sanitaire et ses confinements nous a pourtant bien rappelé la nécessité existentielle du beau… Ainsi les deux-trois prochaines années s’annoncent difficiles pour les Directeurs de l’Expérience Clients et leurs partenaires experts : alors qu’ils devraient être au coeur de chaque décision de l’entreprise, ils se voient aujourd’hui phagocyté par les Directions marketing, voire les Directions informatiques. Mon objet n’est pas d’opposer les différentes directions, mais ces choix stratégiques démontrent une vision très court termiste alors même que les directeurs et directrices de la relation client sont incroyablement efficients : ils font toujours mieux avec au mieux les mêmes ressources, mais généralement moindres. Personne dans une entreprise ne s’étonne plus qu’un projet informatique prenne 18 mois de retard et voit son coût augmenté de 15%, par contre supprimer quelques postes de conseillers clients tout en gardant la même qualité de service semble tout autant une normalité

Et pourtant ! Je ne connais pas de direction aussi exposée aux parties prenantes externes à l’entreprise que celle de la relation client, qui réussit en alliant autant contraintes et/ou ressources et/ou réussites (selon son degré d’optimisme) humaines et technologiques. Et c’est une ancienne Directrice des Ressources Humaines qui le dit !

De l’économie de la fonctionnalité : carburant du modèle économique des outsourceurs

Un autre modèle économique se développe en parallèle, l’économie de la fonctionnalité, qui privilégie l’usage de biens par rapport à leur possession, qui séduit de plus en plus de consommateurs, attirés à la fois par la promesse d’adopter un mode de consommation plus responsable, en favorisant la mutualisation d’équipements, et par la perspective d’ajuster plus rapidement sa consommation à ses besoins réels. Le secteur automobile en est le meilleur exemple avec des plateformes comme Blablacar, Getaround ou Uber qui valorisent comme produit :  le service, et donc à terme le service clients.

Les contraintes économiques, le manque de reconnaissance et l’absence de vision stratégique des Marques quant à l’économie de l’attention et celle de l’usage impactent dès à présent le business model de la relation clients.

Concomitamment à cette conjoncture économique et politique, la relation client est défiée par l’arrivée de l’IA Générative. Bien que les outsourceurs aient déjà fait la preuve de leur agilité voire de leur résilience avec la selfcarisation et les chatbot ces 10 dernières années, certains annoncent la fin de leur métier. En février 2025, Klarna (fintech suédoise valorisée à plus de 40 milliards de dollars) faisait la une en annonçant avoir automatisé presque entièrement son service client grâce à l’IA. A l’heure où j’écris ces lignes, on constate d’ores et déjà un rétropédalage : le 12 mai 2025, le fondateur de Klarna revient sur sa décision et souhaite « ré-humaniser » son service clients.

Il s’agit d’une illustration parfaite de la loi de Roy Amara : « nous avons tendance à surestimer l’effet d’une technologie à court terme et à sous-estimer son effet à long terme ». Je l’ai déjà écrit : les experts de la relation client sont trop bons ! Dans un esprit d’amélioration continue et d’entrepreneurs, ils sont les appétents, les primo testeurs et primo accédants de toutes les nouveautés, notamment technologiques dans un souci d’efficience.

L’économie de l’expérience : de la relation à l’expérience clients… et collaborateurs

Dans un article de la Harvard Business Review de 1998, J. Pine et J. Gilmore théorisait déjà l’économie de l’expérience à savoir que l’expérience associée à un produit ou un service devient un facteur de différenciation déterminant. Dès les années 2000, les professionnels de la relation client réunis à l’Académie du Service se saisissaient du concept en le transposant avec la symétrie des attentions :  « le client ressent l’identité d’une organisation, tout comme la façon dont elle est managée, à travers sa relation avec les collaborateurs ». Et aujourd’hui, ce postulat s’est confirmé compte tenu de l’importance accordée à la notion d’expérience dans le domaine du marketing ou de la conception centrée utilisateur, voire des ressources humaines : expérience utilisateur, expérience de marque, design d’expérience, expérience client, expérience collaborateur etc…

Nous sommes donc bien passés de la relation client à l’expérience client pour tous les acteurs de la chaîne de valeur, y compris pour les outsourceurs. Ainsi, les conseillers clients internes comme externes devraient enfin être perçus comme des ambassadeurs de Marques qui dans chaque interaction doivent démontrer comment cette dernière peut améliorer la vie des utilisateurs en leur apportant du plaisir, du confort, de la confiance ou de la satisfaction. Si on leur laisse le temps – ah la fameuse DMT ! (Durée Moyenne de Traitement), si on prend le temps de les former, ils proposent des offres personnalisées et adaptées aux besoins, envies, situations de chaque utilisateur, avec l’aide des données pertinentes – l’utilité du développement technologique, notamment de l’IA prédictive n’a ainsi jamais été aussi bien démontrée.

Ils sont également devenus des Community Managers : animer une communauté de clients, c’est faire participer les clients à la création de valeur, en les impliquant dans le processus de conception, de production ou de diffusion du produit ou service.

Enfin, pour stimuler la fidélisation et la recommandation, il doit y avoir un lien émotionnel fort entre les utilisateurs et la Marque. Est-ce qu’une IA au-delà d’analyser de l’émotion sera capable en temps réel de la transmettre, avec toutes les nuances et défauts humains ? Je pense à l’hésitation, la répétition… qui rendent l’expérience authentique, bien loin de la perfection.

2030 : polarisation de l’expérience clients

Depuis 2022, on constate dans le secteur du commerce du prêt-à-porter les difficultés rencontrées par les enseignes de moyenne gamme : Kookaï , Naf Naf , Gap France , André , San Marina , Minelli , Kaporal, Don’t Call me Jennyfer, Burton of London, Du Pareil Au Même, Sergent Major, Princesse Tam Tam, Comptoir des Cotonniers, Orcanta… Il s’agit pour moi de l’illustration parfaite de la polarisation de l’économie.

Les produits et services pour durer devront plus que jamais faire le choix entre le low cost et le haut de gamme, et les Marques auront pour option supplémentaire et homonyme de différenciation : une relation client de l’efficacité avec une automatisation à l’excès et une expérience client à « chaleur humaine » – plus coûteuse, plus incertaine mais plus authentique et adaptée à l’instant présent de l’interaction. La compétition entre les BPO de se placer comme l’expert de tel ou tel segment est lancée pour les 5 prochaines années, selon leurs ressources et moyens d’innovation, mais aussi leurs valeurs. Le sacre ultime sera pour celui capable d’offrir l’ensemble de la gamme : de l’hyper technologie à la personnalisation humaine.

En conclusion, pour nous projeter sur 2030, je citerai Thomas de Quincey « L’imperfection elle-même peut avoir son propre idéal de la perfection ».»

*L’ouvrage de 102 pages s’appuie sur :

  • Des entretiens vidéos et écrits, une analyse émotionnelle inédite à partir de plus de 300 000 verbatims clients, et une enquête sectorielle BtoB.

Une initiative collective initiée et portée par Vovoxx Média et Nelly Brossard

Conçu comme un miroir brut et sans filtre, Les Transformers de la relation clients donne la parole à celles et ceux qui, dans les coulisses des entreprises, façonnent chaque jour une nouvelle manière d’être en lien avec les assurés. Les contributeurs de l’ouvrage sont :
Sébastien Acédo – Directeur général – Roam, Caroline Adam – Déléguée Générale – SP2C, Amélie Anastassiades – Directrice de l’Excellence Clients – AESIO mutuelle , Pascal Chapelon – Président – agéa, Nathalie Ciornei – Directrice de la relation sociétaire – MATMUT, Eric Dadian – Président – AFRC, Julie Devoret – Regional Sales Director pour les services financiers – Salesforce, François Féquant – Directeur Marketing Communication et Innovation – MMA (Groupe Covéa), Valérie Isaac – Directrice Commerciale sur le marché assurance – Majorel, Loïc Kueny – Directeur Marketing – Direct Assurance, Christophe Hautbourg – Directeur Général – Planète CSCA, Sébastien Limousin – Directeur général délégué du groupe en charge de la distribution & du digital – Groupe APRIL, Gilles Moyse – Président et cofondateur – reciTAL, Victoria Naïbo – Head of Customer Advocacy – BNP Paribas Cardif France, Rodolphe Pachot – Directeur Marketing et Digital – Generali France, Marie-Eve Saint-Cierge Lovy – Directrice de l’Expérience Clients – Apicil.

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