Fiction ? L’assurance a un rôle dans le sauvetage industriel

Il faut rappeler, en préalable, que grâce à l’épargne en assurance vie qui leur est confiée et aux cotisations versées par les assurés, les assureurs financent l’économie productive et l’action publique. En 2024, les investissements des assureurs français ont progressé de +2,4 %, pour atteindre 2 609 milliards d’Euros au total (source France Assureurs).

Brandt n’est pas une PME comme les autres.

C’était le dernier acteur significatif du gros électroménager produisant encore en France. Une entreprise centenaire, propriétaire de marques commerciales puissantes, incarnant un savoir-faire industriel français et une certaine idée du made in France.

Sa liquidation prononcée récemment dépasse donc largement le cadre d’un échec entrepreneurial isolé. Elle marque la disparition d’un symbole industriel, au moment même où la réindustrialisation devrait s’imposer comme une priorité économique, sociale et politique.

La liquidation de Brandt concentre à elle seule plusieurs constats lourds de sens :

  • L’échec des politiques de réindustrialisation, incapables d’enrayer certaines dynamiques structurelles,
  • Une perte d’emplois directs et indirects, touchant bien au-delà des seuls salariés : sous-traitants, prestataires logistiques, maintenance, bassins d’emplois locaux déjà fragiles,
  • La prise de conscience que, pour certains territoires, il s’agit d’une érosion durable de l’activité économique,
  • Une perte de savoir-faire industriel, difficilement reconstituable,
  • La disparition d’une capacité à innover localement, notamment en matière d’éco-conception, de réparabilité et de durabilité,
  • Enfin, une dépendance accrue aux importations, qui agit comme un signal d’alerte sur la difficulté à concilier industrie, compétitivité et souveraineté.

C’est à l’aune de ces enjeux que je me pose une question plus large, et sans doute plus inconfortable.

Et si l’assurance avait un rôle à jouer dans le sauvetage industriel ?

La liquidation de Brandt pose une question simple, mais dérangeante : que manque-t-il aujourd’hui entre la défaillance d’une entreprise industrielle et une véritable chance de rebond ?
Des projets existent, des salariés sont apparemment prêts à s’engager, des territoires veulent y croire. Pourtant, la bascule vers la liquidation semble presque inéluctable.

Au cœur du problème, une constante revient : l’accumulation de risques jugés par certains trop élevés. Risques industriels, financiers, sociaux, humains. Autant de facteurs qui freinent les banques, découragent les investisseurs et laissent les pouvoirs publics souvent démunis face à l’urgence.

Dans ce contexte, le secteur de l’assurance pourrait-il jouer un rôle différent de celui qu’on lui assigne habituellement ?

Il n’est pas établi que les assureurs aient été directement sollicités dans le dossier Brandt. Mais l’exemple invite à s’interroger plus largement sur la place que pourrait occuper l’assurance dans ce type de situation.

Car l’assurance n’est pas étrangère aux environnements complexes. Elle sait modéliser l’incertain, mutualiser le risque, raisonner sur le temps long. Pourtant, dans les crises industrielles, elle intervient le plus souvent après la chute, rarement au moment critique de la transition.

Faut-il y voir un champ d’action encore largement inexploré ?

D’autant que l’assurance n’est pas seulement un gestionnaire de risques. Elle est aussi, structurellement, l’un des principaux investisseurs de long terme de l’économie française. Les assureurs gèrent des volumes d’actifs considérables, destinés à être investis sur des horizons longs, compatibles avec des projets complexes et capitalistiques.

Par ailleurs, le secteur est déjà engagé sur de nombreux enjeux sociétaux : transition écologique, logement, santé, médico-social, économie sociale et solidaire. À travers leurs politiques d’investissement responsable, leurs engagements ESG ou leurs prises de participation ciblées, certains assureurs ont démontré leur capacité à flécher des ressources vers des secteurs jugés essentiels, parfois fragiles mais stratégiques.

Dès lors, une question se pose naturellement : l’industrie, et en particulier l’industrie en transition ou en difficulté, pourrait-elle devenir l’un de ces champs d’engagement du secteur de l’assurance ?

Certaines expériences montrent que ce type de positionnement est possible. La MAIF, par exemple, a participé il y a quelques années, aux côtés d’autres acteurs financiers, au sauvetage du groupe Orpéa, en contribuant à sa restructuration. Dans ce dossier sensible, l’assureur ne s’est pas limité à une logique strictement financière, mais s’est inscrit dans une démarche de stabilisation d’un acteur jugé essentiel, cohérente avec sa vision de long terme.

Le parallèle avec l’industrie n’est évidemment pas parfait. Mais il ouvre une piste :
si l’assurance peut intervenir comme investisseur engagé sur des sujets sociétaux majeurs, pourrait-elle, sous certaines conditions, jouer un rôle comparable dans des dossiers industriels stratégiques ?

Dans un cas comme Brandt, l’assurance aurait-elle pu :

  • Contribuer à sécuriser une phase de transition ou de reprise ?
  • Intervenir comme investisseur minoritaire et patient ?
  • Réduire la perception du risque pour d’autres financeurs ?
  • Accompagner une transformation plutôt que constater une liquidation sèche ?

Ces interrogations ne supposent pas que l’assurance devienne un « sauveur universel », ni qu’elle se substitue aux acteurs industriels ou publics. Mais elles invitent, peut-être, à réfléchir à un rôle plus hybride, à la croisée de la gestion du risque, de l’investissement et de l’intérêt général.

Elles soulignent également un enjeu d’image et de légitimité. Dans un contexte de défiance encore persistante, une implication mesurée et transparente dans des projets de sauvegarde ou de transformation industrielle pourrait renforcer la perception de l’assurance comme acteur utile à l’économie réelle, engagé au-delà de ses investissements et de sa fonction historique d’indemnisation des sinistres. Il est à noter que bons nombres d’assureurs investissent massivement dans des startups ou des Fonds, comme le Fonds Innovation Défense. Alors pourquoi pas, parfois, dans le sauvetage industriel ?

À l’heure où la réindustrialisation s’impose comme un enjeu stratégique, les assureurs peuvent-ils se contenter d’observer ces crises ? Ou doivent-ils, à tout le moins, interroger la manière dont leurs engagements et leurs investissements pourraient, demain, être fléchés, si cela est possible, vers ces situations critiques ?

La question reste ouverte. Mais une chose est sûre : si l’on veut éviter que les dossiers Brandt se répètent, il faudra sans doute élargir le cercle des acteurs du sauvetage industriel. Et l’assurance, par sa double nature de gestionnaire de risques et d’investisseur de long terme, ne peut sans doute pas rester étrangère à cette réflexion. Non ?

Revoir la contribution du 15/12/2026 : Fiction ? L’assurance glisse vers un nouveau monde

*Contribution produite par ©Jean-Luc Gambey – l’Assurance en mouvement : Vovoxx Média le 16/12/2025. Vous le savez toutes et tous, je ne suis pas spécialiste des sujets liés à l’économie, mais en tant que citoyen et observateur très attentif du secteur de l’assurance, je me donne le droit de m’interroger, de partager certaines interrogations ou idées et surtout de solliciter vos avis et réactions. Cette contribution n’a pas vocation à énoncer mes certitudes. Il s’agit juste d’un regard, de questionnements, d’un point d’étape personnel nourri par l’observation, l’actualité et les signaux faibles du secteur. Son seul objectif est éventuellement d’ouvrir un espace de réflexion collective, d’alimenter le débat et, peut-être, d’inviter chacun à interroger le modèle du secteur de l’assurance, que nous pensions, peut-être immuable.

 

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