Maladies chroniques : vers 25 % d’actifs en 2025

Le 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi du Défenseur des droits et de l’OIT éclaire l’ampleur des discriminations liées aux maladies chroniques dans l’emploi et interroge la santé au travail, les obligations des employeurs et le rôle des services de prévention.

Réalisé par le Défenseur des droits avec l’Organisation internationale du travail (OIT), le 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi se concentre sur les personnes atteintes de maladies chroniques. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit ce type d’affection comme une « affection de longue durée, souvent associée à une invalidité ou à la menace de complications graves, qui évolue lentement et nécessite une prise en charge pendant plusieurs années ». Elle englobe des maladies non transmissibles (diabète, cancers, asthme), des maladies transmissibles persistantes (VIH/sida, hépatites), des troubles mentaux ou psychiques (psychoses, dépression, anxiété chronique), des atteintes anatomiques ou fonctionnelles (maladies cardiovasculaires, sclérose en plaques, cécité, polyarthrite rhumatoïde) ainsi que des maladies rares (mucoviscidose, myopathies, etc.) 

Marquée par « une alternance de périodes de crises et de périodes où les manifestations de la maladie sont faibles », les maladies chroniques sont pour beaucoup une « véritable épreuve » explique l’enquête. Ainsi, la loi française de février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, reconnaît explicitement les maladies chroniques comme un handicap. De son côté, l’article L.114 du Code de l’action sociale et des familles définit le handicap comme toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société résultant d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions (physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques), d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant.

Pour autant, malgré ces protections, une personne active sur dix dit avoir été témoin de discriminations ou de harcèlement liés à la santé ou au handicap, et parmi les personnes malades, environ une sur six déclare en avoir subi. La visibilité de la maladie triple le risque d’exposition, et les limitations d’activité le quadruplent. Plus de quatre actifs malades sur dix rapportent au moins une situation de discrimination dans leur parcours, soit deux fois plus que le reste de la population. Le harcèlement moral est mentionné par 55 % des personnes malades (35 % pour les autres). Lors des recrutements, 30 % évoquent des propos stigmatisants, contre 13 % pour l’ensemble des actifs. Les conditions d’emploi (temps partiel, isolement), la catégorie socioprofessionnelle et la pénibilité accroissent l’exposition.

Face aux discriminations, les personnes concernées se tournent davantage vers la médecine du travail, le référent handicap et l’inspection du travail. Pourtant, seule la moitié a informé sa hiérarchie de sa maladie ; parmi celles qui se taisent, 40 % craignent des répercussions négatives. En candidature, plus d’une moitié n’aborde jamais le sujet : 59 % s’autocensurent lors de la recherche d’emploi, contre 34 % des autres actifs. Les conséquences citées vont du licenciement ou non-renouvellement à la dégradation des conditions de travail, aux blocages d’avancement et à la difficulté à obtenir un emploi stable. Environ un tiers doute de pouvoir tenir le même poste d’ici deux ans (16 % pour les autres).

Le rôle des services de santé au travail est central mais éprouvé. Seule la moitié des malades dit bien connaître les gestes et informations de prévention. Un quart des salariés n’a pas eu de visite médicale depuis plus de cinq ans, et plus de la moitié estime que le médecin du travail connaît mal leur état. Près de la moitié hésite à lui transmettre des informations. Après un arrêt de plus de 60 jours, un tiers n’a pas eu de visite de reprise ; quand elles ont lieu, 78 % approuvent les recommandations, mais dans près d’un tiers des cas l’employeur ne les suit pas.

Côté maintien dans l’emploi, 19 % bénéficient d’un aménagement de poste ; 29 % en auraient besoin sans en disposer. Dans ces cas, plus d’un quart évoque un refus de l’employeur, parfois avec reclassement ou réorganisation à la place. 40 % des salariés dont la maladie est connue ne perçoivent ni soutien de l’employeur ni de leur supérieur. Les relations de travail et l’entraide sont aussi jugées moins favorables : 15 % se disent mal à l’aise avec un collègue ayant un cancer, 14 % avec une personne vivant avec le VIH. 

Le phénomène s’inscrit dans une tendance lourde : la part d’actifs concernés, estimée à 15 % en 2019, pourrait atteindre 25 % dès 2025 selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Les facteurs invoqués mêlent progrès thérapeutiques, environnement, inégalités socioéconomiques et conditions de travail. Et si sur le plan de la réglementation, la loi de 2005 reconnaît la maladie chronique comme handicap, seules 2,7 millions de personnes disposent d’une Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), soit environ un quart du public potentiel. La loi pour le plein emploi de 2023 entend toutefois réduire ce non-recours.

Pour lutter contre les discriminations liées aux maladies chroniques au travail, le baromètre Défenseur des droits et de l’OIT plaide pour une action coordonnée : application stricte du principe de non-discrimination, évaluation individuelle de l’aptitude, aménagements raisonnables, formation des recruteurs et sensibilisation de l’ensemble des équipes. Il s’agit aussi de renforcer médecine et inspection du travail, outiller le dialogue social et garantir, quand travailler n’est pas possible, un revenu d’existence assurant une participation pleine à la société.

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