Voilà maintenant l’idée du moment : la surprime émeutes obligatoire, surnommée gentiment “taxe casseurs”. Une surprime dans les contrats d’assurance afin de couvrir les dégradations qui seraient causées par des émeutes, quand ça part en vrille !
Le scénario est simple : un amendement au budget 2026, voté discrètement au Sénat, pour créer une garantie émeutes obligatoire sur les contrats “dommages aux biens”. Avec un fonds, de la réassurance, et la CCR dans le rôle du gestionnaire sérieux du fonds de mutualisation.
La bonne nouvelle ? Ce serait “seulement” 2% selon certaines infos, après avoir été imaginé à 5%. Mais la question est : qu’est-ce qu’on achète exactement avec ? De la solidarité ? De la prévention ? Ou juste une ligne de plus sur la facture ?
Officiellement, on nous explique que les assureurs et réassureurs durcissent les conditions, retirent des garanties ici ou là, et que le risque devient difficile à porter. Et, factuellement, les dégâts peuvent être énormes.
Quelques rappels express : en juin-juillet 2023, c’était : 24 000 feux sur la voie publique, 12 000 véhicules incendiés, 2 500 bâtiments touchés (écoles, mairies, etc.). Côté assurances, les émeutes de Juin 2023 : 15 600 sinistres pour 730 M€ selon France Assureurs.
Mais en raison notamment de la non-déclaration d’une partie des sinistres, la commission d’enquête du Sénat sur ces événements estime ce coût autour d’un coût d’1 milliard au total. Autre exemple. En 2024, 3 480 sinistres ont été déclarés en Nouvelle-Calédonie, en lien avec les émeutes de mai de la même année. Le coût a atteint les 942 millions d’euros.
On est donc face à une vraie question : qui paye quand la société craque ? Les assureurs : “heu… merci, mais non merci”
Sans surprise, le secteur grimace. Agéa trouve ça “difficilement compréhensible et acceptable”. Sur LinkedIn, des dirigeants de mutuelles ont dénoncé la mesure, à l’image d’Adrien Couret, directeur général d’Aéma Groupe « Cette garantie est choquante sur le principe. Elle est choquante parce qu’elle revient à faire payer aux Français, par leur assurance, les lacunes de l’État dans sa mission régalienne d’ordre public. Lacunes pour lesquelles l’État vient d’être reconnu responsable par la justice pour avoir mal géré les émeutes en Nouvelle-Calédonie, et a été condamné à rembourser 28 millions d’euros à un assureur sur ce qu’il avait indemnisé ». L’Amrae aurait ajouté que cette nouvelle surprime viendrait alourdir le coût de l’assurance « sans apporter de réponse à la prévention ni à la maîtrise du risque ».
Le nouveau film français : l’État est déjà censé payer
Et là, on touche à l’ironie nationale : en France, l’État peut déjà être tenu responsable des dégâts causés par des attroupements/émeutes (article L211-10 du Code de la sécurité intérieure). Donc on peut résumer le nouveau film ainsi :
- Tous les assurés payent une surprime,
- Ça casse,
- L’assureur paye,
- Puis parfois l’État paye aussi (ou est condamné à payer),
Et à la fin on découvre que personne ne sait vraiment qui devait payer au départ.
Et si on imaginait cela autrement, sans transformer l’assurance en boîte à taxes !
Quelques pistes (mais il y en a d’autres) qui, certes, demandent un peu convictions, de courage politique, d’organisation et de vision sur le temps long :
- Mieux utiliser le cadre existant (L211-10) : procédure claire, délais clairs, et recouvrement réel contre les auteurs quand c’est possible (au lieu de “l’État paye, rideau”).
- Renforcer la prévention : si on crée une surprime, alors qu’elle déclenche automatiquement des budgets prévention (sécurisation urbaine, protection des bâtiments publics, accompagnement des commerçants, …..). Sinon, c’est juste une cagnotte sans morale.
- Flécher une partie des amendes/condamnations + saisies (quand il y en a) vers un fonds de réparation concret (communes, commerces).
- Assumer une solidarité nationale via l’impôt général, et pas via des contrats privés : au moins c’est progressif, lisible, débattu.
Au fond, la “taxe émeutes”, c’est encore une grande idée française : mettre un petit pansement financier sur une grande fracture sociale, sans traiter le fond.
Et au fond, que dit vraiment cette éventuelle surprime émeutes de l’action publique et politique ?
- Qu’on sait compter les dégâts une fois les vitrines brisées, mais beaucoup moins les éviter ?
- Qu’on préfère empiler des mécanismes financiers après coup plutôt que d’investir sérieusement dans l’anticipation, la prévention, l’innovation, le renseignement, la médiation, l’aménagement urbain ou la protection ciblée des territoires les plus exposés ?
- Qu’à défaut d’idées neuves et de solutions à court terme, on recycle toujours la même réponse : faire payer plus tard, ailleurs, par d’autres, via une ligne discrète sur une facture d’assurance ?
Et si cette “taxe émeutes” n’était finalement un signal supplémentaire, un aveu d’une impuissance politique à penser le risque en amont, autrement que comme un simple problème comptable à solder après la casse ?

