Transparence salariale, un vaste retard des entreprises

À six mois de l’échéance légale, la majorité des entreprises françaises ne disposent toujours pas d’un dispositif complet de transparence salariale. Une enquête nationale met en lumière un risque massif de non-conformité, en particulier dans les TPE et PME.

À compter du 7 juin 2026, la directive européenne 2023/970 sur la transparence salariale devra être pleinement intégrée en droit français. Cette réforme engage toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, et concerne directement près de 27 millions de salariés. Pourtant, selon une vaste enquête conduite par l’agence HOW MUCH auprès de plus de 5 500 entreprises, près de 94 % d’entre elles ne disposeront pas d’un dispositif complet à temps. Ce retard structurel pose de lourds enjeux de conformité juridique, de communication interne et de gouvernance sociale.

Une mise en conformité encore marginale

Seule une faible minorité d’entreprises a engagé un projet structuré de transparence salariale intégrant gouvernance, budget et planning. Les grandes entreprises apparaissent les plus avancées, mais même dans ce segment, la conformité reste partielle. Les TPE et PME concentrent l’essentiel du retard, une majorité d’entre elles n’ayant encore engagé aucune action formalisée.

Cette situation révèle une difficulté persistante à traduire les exigences réglementaires en projets opérationnels, notamment dans les organisations faiblement dotées en ressources humaines structurées. Pour le secteur de l’assurance, fortement exposé aux obligations de conformité et de reporting social, ces écarts constituent un risque systémique.

Des chantiers RH encore très immatures

L’enquête souligne que le travail préalable de diagnostic et de nettoyage des données de rémunération reste très peu engagé. La formalisation de grilles salariales et de critères objectifs demeure également marginale, hors grandes entreprises. Or, ces fondations sont indispensables pour répondre aux nouvelles obligations d’affichage des fourchettes de salaires, d’objectivation des augmentations et de reporting des écarts de rémunération femmes-hommes.

Dans la majorité des TPE et PME, l’absence de politiques de rémunération structurées rend la mise en œuvre technique particulièrement complexe. Cette faiblesse de l’organisation interne révèle un enjeu central de data, de gouvernance et de pilotage social, au cœur des transformations actuelles de l’entreprise.

Des délais incompatibles avec le calendrier légal

Les projections de délais confirment l’ampleur du risque de décalage. Une majorité de TPE et de PME estime avoir besoin de plus de douze mois pour être conforme, soit bien au-delà de l’échéance de juin 2026. Les ETI apparaissent plus agiles, tandis que les grandes entreprises bénéficient d’une capacité d’industrialisation plus avancée grâce à leurs systèmes d’information et leurs équipes RH dédiées.

Au niveau national, cette situation annonce un déploiement de la transparence salariale à plusieurs vitesses, avec une asymétrie forte entre grands groupes et tissu économique de proximité, pourtant employeur d’une part massive des salariés français.

Des obligations inégalement maîtrisées

Certaines obligations affichent un meilleur niveau d’avancement, notamment l’interdiction de demander l’historique de rémunération des candidats. En revanche, l’affichage des fourchettes de salaire dans les offres d’emploi et l’information claire sur les critères de rémunération accusent un net retard. Près de la moitié des entreprises reconnaissent qu’elles ne seront pas prêtes à l’échéance.

Le reporting annuel sur les écarts de rémunération femmes-hommes progresse davantage, mais reste encore hors de portée pour un quart des entreprises concernées. Ces obligations impliquent des capacités de traitement de la data, de communication interne et de maîtrise réglementaire, qui font encore largement défaut.

Un enjeu majeur de gouvernance sociale

Les niveaux de confiance dans la capacité réelle à respecter l’échéance légale illustrent l’ampleur du décrochage. Une majorité de TPE et de PME anticipe une non-conformité partielle ou totale. Ce déficit de préparation expose les entreprises à des risques juridiques, sociaux et réputationnels importants.

Comme le souligne Sandrine Dorbes, experte en stratégie de rémunération, « toutes les entreprises françaises sont concernées par la directive de transparence salariale. Il reste à peine plus de six mois, alors qu’un projet sérieux prend plutôt un an. Il est vraiment temps de réagir ». Pour les acteurs de l’assurance, de l’entreprise et de la gestion des risques, cette réforme marque une nouvelle étape dans l’intégration des enjeux sociaux au cœur de la réglementation.

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