Société à mission : repenser le rôle de l’entreprise

Face aux urgences écologiques, aux inégalités qui se creusent et à une quête de sens qui traverse le monde du travail, une question s’impose : à quoi sert vraiment l’entreprise ? Depuis la loi PACTE, qui a ouvert la voie aux sociétés à mission, un nombre croissant d’organisations cherchent à dépasser la logique du profit pour affirmer leur raison d’être et leur utilité collective. 

C’est ce mouvement que RYDGE Conseil accompagne au quotidien. Derrière les chiffres – 4 500 collaborateurs, 100 000 clients, 200 implantations en France et en Outre-Mer -, il y a une conviction : celle que la performance économique ne peut plus se penser sans impact social et environnemental. Le cabinet aide ainsi les dirigeants à inscrire leurs engagements dans la durée et à faire de la durabilité une boussole stratégique autant qu’humaine.

Pour décrypter cette transition et comprendre ce que signifie devenir “société à mission” aujourd’hui, nous avons rencontré Antoine Guyot, consultant ESG / durabilité et expert des sociétés à mission chez RYDGE Conseil. 

La loi PACTE de 2019 a introduit le statut de “société à mission”. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie concrètement ? Quels engagements une entreprise doit-elle prendre, et comment ce statut s’inscrit-il dans le contexte des attentes sociétales et environnementales actuelles et futures ?

Antoine Guyot : Alors, la loi PACTE de 2019 est une petite révolution. Petite, mais tout de même importante. Pourquoi ? Parce qu’elle oblige toute société, quel que soit son statut, à repenser et redéfinir son objet social.

Avec cette loi, un article du Code civil a été modifié : il précise désormais que la société est gérée dans son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Cela signifie que la RSE, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, est officiellement consacrée par la loi.
Autrement dit, toute entreprise doit désormais tenir compte des enjeux sociaux et environnementaux dans la conduite de ses activités.

Le deuxième élément de cette loi, qui en fait une petite révolution, c’est que pour la première fois, le législateur autorise les entreprises les plus volontaires ou pionnières à aller plus loin, en transformant leur statut pour devenir des “sociétés à mission”.

Concrètement, plusieurs conditions sont nécessaires : inscrire dans les statuts la raison d’être de l’entreprise et ses objectifs sociaux et environnementaux, c’est-à-dire ses engagements ; transformer sa gouvernance en créant un comité de mission ; et accepter une vérification par un organisme tiers indépendant, une sorte d’audit externe.

Quant au contexte dont vous parlez, je dirais qu’il y a deux attentes fortes : d’abord, une recherche accrue de sens dans le monde du travail, à laquelle la société à mission peut contribuer ; et ensuite, une demande de transparence, exprimée par de nombreux citoyens, sociétaires ou clients, que ce soit dans la banque, l’assurance ou d’autres secteurs.

Combien de sociétés en France ont adopté ce statut ? Observe-t-on des tendances particulières dans certains secteurs comme la banque ou l’assurance ? 

Aujourd’hui, il y a environ 2 250 sociétés à mission. C’est à la fois peu et beaucoup. Ce qu’il faut retenir, c’est que cela représente plus d’un million de salariés travaillant dans ces entreprises.
C’est un chiffre en forte progression : il y a cinq ou six ans, on en comptait à peine 200.

Dans le secteur de la finance, de la banque et de l’assurance, on compte 137 sociétés à mission. Ces chiffres proviennent directement de l’Observatoire des sociétés à mission, alimenté par les greffes des tribunaux de commerce.

Ce qui est intéressant, c’est qu’en 2024, on a observé une croissance de +22 % du nombre de sociétés à mission dans ce secteur. Cela montre une adoption croissante du modèle, malgré un contexte économique et réglementaire pas toujours simple.

Quels bénéfices concrets une entreprise retire-t-elle en devenant société à mission, pour ses clients ou ses collaborateurs ?

Elles le font pour plusieurs raisons.
La première, c’est la recherche d’un alignement fort entre performance économique et utilité sociale. Dans le monde de l’assurance, notamment dans les mutuelles, certaines entreprises décident de remettre au centre du jeu ce lien entre performance et impact social.
Deuxième point : ce statut peut être perçu comme un levier d’innovation, notamment pour développer de nouveaux produits plus responsables.
Troisième point : il stimule l’engagement et la motivation des collaborateurs. Ces derniers ont désormais une “boussole”, une mission à laquelle ils croient, souvent formulée avec leur participation. Cela donne du sens à leur travail, et ça se ressent au quotidien.

Les objectifs RSE que l’on retrouve dans le secteur banque-assurance sont variés : accessibilité des services pour tous les publics, financement de la transition énergétique, cybersécurité et protection des données, éducation financière ou assurantielle, ou encore lutte contre l’exclusion.

Et puis, un dernier exemple : depuis que le Crédit Mutuel Arkéa est devenu société à mission, la direction a constaté une hausse de 35 % du nombre de candidatures qualifiées. Cela montre que ce statut attire des talents en quête d’un alignement entre leurs valeurs et celles de leur futur employeur.

Pensez-vous que ce statut transforme réellement les pratiques des entreprises ? On parle souvent de “washing” (greenwashing, social washing…). Est-ce que ce statut pousse vraiment à agir davantage ?

Le point clé, c’est la vérification. Une société à mission est obligée de se faire vérifier régulièrement par un organisme tiers indépendant.
C’est une exigence forte, car elle rend la mission juridiquement opposable. Cette vérification constitue un véritable garde-fou, et est obligatoirement rendue publique pendant cinq ans sur le site de l’entreprise à mission. 

L’avis de l’organisme tiers indépendant est donc transparent. Et pour répondre plus largement, l’innovation est vraiment la marque des sociétés à mission.
Pourquoi ? Parce que la mission — c’est-à-dire la raison d’être et les engagements sociaux et environnementaux — devient la grille d’évaluation des décisions stratégiques : achats, investissements, partenariats…

Cette boussole conduit parfois à des renoncements : certaines activités peuvent ne plus être en phase avec la mission. Cela l’oblige à innover, à développer de nouveaux vecteurs de croissance, tout en respectant sa mission, qui s’inscrit sur le long terme.

Existe-t-il une méthodologie ou des critères précis pour ces vérifications ?

Le système de contrôle dans une société à mission est double.
D’abord, il y a un changement de gouvernance : l’entreprise doit créer un comité de mission (ou désigner un référent pour les petites entreprises).
Ce comité est librement composé, souvent avec des parties prenantes externes : fournisseurs, prestataires, experts, etc. Il a pour rôle de vérifier régulièrement que l’entreprise reste alignée avec sa mission. Il ne décide pas, mais il conseille et challenge la direction sur les progrès réalisés. 

Ensuite, vient la vérification externe. Un organisme indépendant audite les indicateurs et objectifs de mission, en interrogeant aussi le comité. Cette vérification a lieu tous les deux à trois ans, selon la taille de l’entreprise.
Elle repose sur une méthodologie commune à tous les organismes tiers, ce qui garantit la rigueur juridique du statut.
Et surtout, cette vérification rend la qualité de “société à mission” opposable en justice. Si le rapport d’audit est mauvais, il peut servir de base à une action en justice contre l’entreprise.

Comment voyez-vous, en tant que cabinet de conseil, l’évolution de ce statut dans les prochaines années ?

Je crois fortement à une économie plus responsable, parce que c’est ce qu’attendent les clients, les investisseurs et les acteurs financiers : plus de transparence et de preuves d’engagement. Les entreprises qui n’oseront pas aller vers davantage d’engagement sociétal seront, selon moi, en difficulté demain.

Je pense par exemple à la MAIF, société à mission, qui pendant le Covid a redistribué 100 millions d’euros à ses sociétaires, estimant qu’il n’y avait plus d’accidents de la route pendant les confinements. Cette décision, prise rapidement, illustre une logique d’innovation sociale. Elle a aussi eu un effet d’entraînement : d’autres acteurs du secteur se sont sentis challengés par cet exemple.

Concernant l’avenir du cadre législatif, on parle souvent d’une “loi PACTE 2” qui pourrait voir le jour, même si le contexte parlementaire rend les choses incertaines.
Elle pourrait notamment élargir le statut aux associations et à l’économie sociale et solidaire, certaines ayant déjà entamé cette démarche.
Cette nouvelle loi pourrait aussi renforcer la mesure d’impact, notamment à travers la vérification par les organismes tiers. Mais je pense que la liberté laissée aux entreprises restera importante : liberté de formuler leur mission, de choisir leur comité et leur organisme vérificateur. C’est ce qui fait la richesse du modèle.

Il existe déjà beaucoup d’outils et de labels : la directive CSRD, la norme ISO 26000, l’Impact Score du mouvement Impact France… Que pensez-vous de cette multiplicité d’outils et d’évaluations ?

Globalement, je pense qu’un peu plus de clarté serait souhaitable. Mais la bonne nouvelle, c’est que plusieurs acteurs travaillent désormais plus étroitement ensemble, et c’est très positif.

Qu’une dynamique plus responsable s’installe dans l’économie, c’est une excellente chose. Ces labels permettent aussi de distinguer le vrai du faux — y compris face au greenwashing.

Selon moi, il faut que les forces se conjuguent.

Il y a trois types d’acteurs à faire converger :

  • d’abord, ceux de la RSE, qui travaillent à réduire les externalités négatives des activités;
  • ensuite, les sociétés à mission, qui cherchent à maximiser leur impact positif et à faire évoluer leur modèle économique ;
  • enfin, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, dont certains – et c’est nouveau – choisissent aussi de devenir “à mission”.

Nos derniers articles