Quelles sont les grandes (r)évolutions de l’assurance ?

Nelly Brossard, experte en assurance et spécialiste en innovation digitale, et Blandine Chaghal Directrice Commerciale Directe dd’Aviva France répondent à cette question. De nouvelles offres et modèles d’assurance apparaissent et se développent :  assurance à la demande, personnalisée, assurance à l’usage, assurance comportementale, collaborative… Ces nouveaux modèles sont multiples et diversifiés. Les nouveaux modèles d’assurance transforment-t-ils vraiment l’assurance, répondent-ils aux nouveaux besoins des clients ?
Quels sont selon vous les grandes évolutions des usages et des attentes des consommateurs ?
Nelly Brossard : Nous vivons dans un monde digital, les consommateurs sont totalement digitalisés, ils sont hyperconnectés et informés. Il existe de nouveaux usages et de nouveaux modes de consommation qui sont en train de s’ancrer de façon assez durable avec des attentes très fortes en termes de personnalisation, de simplicité. Parmi tous ces nouveaux usages, l’un des principaux est le passage d’une économie de la possession à une économie de l’usage. Cette économie de l’usage existe à travers le streaming musical, la vidéo à la demande, le co- voiturage, elle rencontre un vif succès sur toute la population et en particulier auprès des millenials. Ce mode de consommation modifie le rapport des consommateurs à l’objet acheté et révolutionne l’expérience client.
Le deuxième point est qu’aujourd’hui, les citoyens cherchent à consommer mieux, avec une certaine prise de recul par rapport à cette société « d’hyperconsommation », ce qui est appelé la « déconsommation ». Les consommateurs ont une vision qui est beaucoup plus écologique, en voulant préserver les ressources de l’environnement.
Le fait de vouloir consommer mieux s’applique aussi à l’assurance. Il existe des attentes très fortes en termes de personnalisation. Les assurés sont demandeurs d’offres et de services qui sont adaptés au contexte et parfois même de façon très proactive. Il existe également des attentes d’offres adaptées au temps réel d’utilisation, cette notion de temps réel est très importante aujourd’hui. Les assurés sont aussi en attente de simplicité notamment sur les produits, sur la simplicité à comprendre, et enfin des attentes d’adaptabilité et de transparence. Ces différents points évoqués ce sont les codes des nouveaux acteurs de la nouvelle économie qui sont au top de l’expérience client comme Apple ou Amazon. Pour nous les assureurs traditionnels, il nous faut repenser nos produits, nos services, et repenser totalement l’expérience utilisateur.
Comment se déroule dans votre entreprise ces transformations, que constatez-vous ?
Blandine Chaghal :   Nous devons capter ces nouveaux besoins clients comme le besoin de mobilité. Les assurés sont plus écologiques, ils achètent un vélo électrique. Nous avons des demandes de nos clients d’être couverts lors de l’utilisation de ces nouveaux moyens de transport : vélo électrique, trottinette électrique pour aller prendre le RER… Le client veut avoir tout au long de l’utilisation de ces nouveaux moyens de transport des solutions : ma trottinette tombe en panne, nous offrons une option d’assistance simple, avec la possibilité d’appeler un taxi. Les demandes des clients sont multiples : suis-je couvert si je blesse quelqu’un, puis-je rouler sur le trottoir en trottinette, est-ce que je peux rouler sur la route avec ma trottinette ? Notre objectif est d’offrir ses services, d’expliquer comment les assurés sont couverts. Pour répondre à ces nouveaux besoins, nous sommes à l’ère du produit On My Way. Voilà pourquoi, chez Aviva nous avons lancé ce produit OnMyWay dédié aux NVEI (nouveaux véhicules électriques individuels). L’assuré est couvert sur son trajet lorsqu’il utilise ces NVEI.

Au regard de ces nouveaux usages, nouveaux modes de consommation, il existe quatre catégories d’assurance, quelles sont-elles ?
Nelly Brossard :  Les quatre catégories d’assurance sont :

  • L’assurance à l’usage
  • L’assurance comportementale
  • L’assurance à la demande
  • L’assurance collaborative

L’assurance à l’usage est vraiment très personnalisée selon les modes de consommation. Le principe est de moduler le prix de l’assurance en fonction de l’usage réel du consommateur. Nous la retrouvons notamment en assurance automobile avec le « Pay When You Drive » : l’assuré paye quand il conduit selon le nombre de kilomètres parcourus, le nombre de jours d’utilisation, le nombre de minutes d’utilisation…
L’assurance comportementale est souvent couplée à des objets connectés et est associée à des services de prévention. L’assureur module le prix de l’assurance en fonction du comportement réel de l’assuré. Pour l’assurance auto, c’est ce que nous appelons le « Pay How You Drive ». Si le comportement de l’assuré est vertueux, la prime de l’assuré diminuera. En santé, nous avons des assurances qui vont se moduler selon les actions de prévention effectuées par l’assuré et le partage des données avec des objets connectés. Par exemple, avec l’offre Vitality de Generali, selon son comportement, l’assuré obtiendra des points pour avoir accès à des partenaires et à une offre d’assurance adaptée. Avec l’assurance comportementale, l’assuré qui prend soin de sa santé aura un prime qui diminuera.
L’assurance à la demande est en général activable et désactivable de façon immédiate ou parfois de façon automatique avec des technologies comme la blockchain ou l’assurance paramétrique. Un événement déclencheur va automatiquement faire en sorte qu’elle s’activera ou pas. Le tarif sera modulé selon une durée, selon une prestation, selon un trajet. Cette assurance va permettre de s’assurer ponctuellement pour couvrir un risque spécifique à un moment T. Cela existe depuis longtemps par exemple avec l’assurance voyage, mais ce qui est nouveau aujourd’hui est l’apport des technologies qui permet de développer ce genre d’assurance, en redonnant quelque part le contrôle à l’assuré. Avec un smartphone, l’assuré peut demande un tarif instantané en prenant une photo d’un bien et peut activer, désactiver, l’assurance instantanément.
L’assurance collaborative permet à des consommateurs de se regrouper, de mettre en commun leur risque et de s’assurer mutuellement au sein de leur communauté. Ce sont des offres qui sont faites en fonction des habitudes de consommation d’une communauté. Ce type d’assurance s’appuie sur la solidarité et souvent nous avons des systèmes où s’il y a peu de sinistres, une partie de la prime sera reversée aux assurés. Otherwise propose ce type d’assurances en France. Ce type d’assurance se développe en France car elle est facilitée par les technologies : à la fois l’intelligence artificielle, la data et les objets connectés. Ce qui est intéressant aussi est que ces assurances collaboratives sont de plus en plus intégrées dans des biens ou des services. Par exemple sur la mobilité, la location de véhicules, ou sur le voyage. L’assurance collaborative peut être souscrite directement mais aussi être intégrée dans un service beaucoup plus global où l’acte d’achat principal n’est pas une assurance.
Blandine Chaghal : Ces nouvelles formes d’assurance prennent en compte l’hyper personnalisation du risque, qui s’oppose au modèle de base de l’assurance : la mutualisation. Je pense qu’il faut avoir cette vision globale, où nous intégrons ces nouvelles formes d’assurance dans une offre plus globale dans des produits « hors assurance ». Ce qui répond à cette volonté de services et de simplicité voulue par l’assuré.
Est-ce que ces nouveaux modèles d’assurance transforment aussi la façon dont ils sont réfléchis en amont ?
 Blandine Chaghal : L’assureur est obligé de réfléchir différemment, nous ne parlons plus de produits mais d’offres. Auparavant, créer un produit MRH chez Aviva pouvait prendre entre un an et demi et deux ans. Ce process ne peut plus répondre à la captation des nouveaux usages qui doit être très rapide. Les actuaires ne sont plus au centre du process de création, l’assureur ne veut plus seulement fixer un tarif, des garanties, mais il définit un risque et doit trouver la façon d’y répondre. Il y a une logique de cocréation avec les assurés lors d’ateliers :  l’assureur a-t-il bien compris le risque pour lequel l’assuré veut être couvert, comment les assurés parlent de ce risque, c’est une échange assureurs-assurés. Cela peut s’effectuer sur des temps très courts (cinq jours en session fermée avec une dizaine d’assurés), ou sur des temps plus longs en se reposant sur des études auprès d’assurés. Aujourd’hui, cette phase d’écoute est beaucoup plus importante pour avoir le commencement de la réponse, alors qu’avant, nous assureurs, avions toutes les réponses puisque c’était nous qui avions déjà des produits à offrir. Ce concept chez Aviva se développe depuis un an et demi et s’appelle « Proposition 2.0 ». Le digital nous aide fortement pour avoir cette agilité, aujourd’hui nous devons sortir une nouvelle offre en 4-5 mois maximum.
Quel est votre avis sur toutes ces évolutions du secteur avec notamment cette agilité nécessaire ?
Nelly Brossard : Il faut apprendre aux équipes à s’adapter, ce qui n’est pas forcément dans la culture de l’assurance. Se réinventer, implique évidemment de nouvelles façons de faire auprès des équipes et cela prend du temps. Auparavant, nous sortions un produit en deux ans, voir trois ans ou plus parfois. Aujourd’hui, il faut sortir un produit en six ou neuf mois, cette nouvelle façon de travailler ne se fait pas du jour au lendemain. Les assureurs doivent avoir plus d’agilité, nous devons apprendre à travailler avec des méthodes différentes. Les assureurs doivent décloisonner la création d’offre pour que tout le monde y participe (tous les services de l’entreprise, les clients…) : dans une logique de co-construction. Il faut mettre le client au cœur, dans toutes les phases de l’amont à l’aval, nous allons écouter le client et l’amélioration du produit est continue même après son lancement : en écoutant les commerciaux, les plateformes téléphoniques. Cette culture de l’écoute client doit être mise en place.
Les assureurs doivent également s’ouvrir sur l’écosystème, en travaillant par exemple sur la mobilité. Il faut que les assureurs travaillent avec des constructeurs immobiliers, les mairies,… . Si nous voulons créer une application qui permet d’aller d’un point a à un point b en prenant plusieurs moyens de transport, il faut l’expertise de tous pour construire ce nouvel outil. L’ouverture consiste aussi pour les assureurs à travailler en collaboration avec les startups.
Comment Aviva s’ouvre à cet écosystème ?
Blandine Chaghal :  Nous avons deux méthodes. Tout d’abord une participation au financement de startups avec un fonds d’investissement dédié à ces startups. Nous investissons, mais nous participons aussi au développement commercial des offres.
L’autre point essentiel est de se demander, à chaque début de projet, si nous avons ou non la compétence en interne pour mener ce projet ? Avons-nous le temps de mener ce projet ? Les assureurs ne doivent pas hésiter à externaliser auprès de structures comme les startups qui ont la compétence. L’assurance a un grand avantage, celui d’avoir un nombre de clients importants et d’avoir une structure financière solide permettant de lancer un certain nombre de projets.
Ces nouveaux modèles d’assurance transforment-t-ils vraiment l’assurance et vont-ils réellement se développer de façon massive ? En France ne sommes-nous pas en retard sur certains produits par rapport à d’autres pays ? Pour quelles raisons ?
Nelly Brossard : Ma conviction est que pour certains types d’offres, c’est un peu de l’habillage marketing. En revanche, pour d’autres types d’offres, ce sont vraiment des évolutions qui sont assez profondes parce qu’elles vont toucher aux modèles, à la tarification et puis à la relation avec l’assuré. Je pense notamment à l’assurance comportementale, en passant d’un modèle de mutualisation à un modèle d’individualisation. Cette transformation va continuer, nous allons aller vers plus de sur-mesure, plus de personnalisation, une offre plus évolutive, avec moins d’intervention du client. L’idée est d’avoir des garanties et des couvertures qui vont s’adapter grâce aux objets connectés en fonction d’un certain nombre d’événements qui peuvent se passer. Par exemple, je suis chez moi je ne suis pas chez moi, j’ai loué ma maison à des personnes…des événements qui vont permettre le déclenchement automatique des garanties. Le client n’aura plus à intervenir pour que son assurance s’active.
Concernant le développement massif de ces nouvelles offres, il faut essayer de trouver des modèles qui offrent une certaine rentabilité à l’assureur. Un assureur qui a un portefeuille en automobile, en développant des offres à l’usage, ces primes vont baisser.
Blandine Chaghal : Que la France soit en retard par rapport à d’autres pays, j’en suis persuadé. En Grande-Bretagne, vous n’avez pas de renouvellement tacite de votre contrat, donc tous les ans le client peut arrêter ou reconduire son contrat. Il y a donc une écoute du client plus importante et un modèle économique qui est déjà en place. La loi Hamon en France remet en cause ce principe de tacite reconduction, et nous oriente pour l’avenir vers des modèles plus centrés sur la protection du consommateur et l’écoute du client. Si le client change d’habitude, l’assureur doit être capable de le prendre en compte et de l’intégrer, soit en offrant des meilleures couvertures, soit effectivement en diminuant le risque en offrant un meilleur service.
Le modèle économique à trouver est la vraie question aujourd’hui pour pouvoir dans certains cas offrir plus de services personnalisés. Mais les progrès technologiques vont avec la digitalisation, permettre de trouver ce modèle : les process de gestion en assurance sont simplifiés, nous communiquons plus en utilisant les outils digitaux avec le client. Donc oui nous sommes en retard par rapport aux pays anglo-saxons à cause notamment de la législation, mais l’automatisation des technologies nous permettra de rattraper ce retard. Par contre en France, et notamment grâce à l’action des mutuelles, nous sommes en avance au niveau de la qualité de service proposée. Chez Aviva, nous avons des plateformes téléphoniques avec des conseillers qui sont là depuis 20 ans, qui sont experts et qui ont un sens du client qui est exceptionnel, ce qui permet de fidéliser l’assuré.  Il nous faut écouter le client car c’est le client qui a les réponses.
Nelly Brossard :  En Italie en assurance auto, l’assurance comportementale a été très développée, elle représente près de 15 % du marché. Mais le marché est différent :  les primes sont très élevés, la sinistralité et la fraude sont très importantes. Du coup, l’assurance comportementale permet vraiment aux assureurs de maîtriser leur sinistralité avec une baisse d’environ 20%. Si nous appliquons ces principes en France, nous ne constatons pas le même niveau de baisse de sinistralité. L’Italie est aussi un des pays européens où cela dérange le moins les consommateurs de partager leurs données, car ils savent que cela permettra une baisse des primes très importantes. Il faut bien observer la culture de chaque pays, ce qui marche dans l’un ne marche pas forcément dans l’autre.
En conclusion, ces nouveaux modèles transforment-ils véritablement l’assurance ?
Blandine Chaghal : Nous sous-estimons aujourd’hui l’urgence de cette transformation pour nos clients. Il faut arriver à mettre le client au centre de la transformation, car si en tant qu’assureur nous n’y arrivons pas, nous passerons à côté d’un futur et d’un marché qui sera différent.
Nelly Brossard :  L’écoute du client, l’agilité vont permettre cette transformation. Il est plus que temps de passer à l’action !
Source : Extrait de l’émission « Les nouveaux modèles transforment-ils l’assurance, répondent-ils aux nouveaux besoins des clients ? » réalisée lors du TDAY Insurance du 25 septembre 2018. Retrouvez l’ensemble de l’émission en vidéo.
 

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